Prises de paroles

 

Nous disons "à Dieu" à Jacques de Vathaire
08 Décembre 2011

Le livret de la célébration

des témoignages
Emmanuelle - Accueil à S.Merri
Ce poème de Mallarmé que Jean-Baptiste vient de lire, papa le connaissait par cœur. Il en aimait la concision et la force des mots, la mélodie et le mystère de chaque vers qu’il disait comme on offre un bon armagnac, avec la délectation d’un plaisir partagé.
Il aimait offrir des paroles fortes, mystérieuses et surprenantes pour des anniversaires, des mariages, des fêtes ou pour les obsèques qu’il célébrait au Père Lachaise. Aujourd’hui, nous entendrons deux textes qu’il nous a laissés.
Papa est arrivé au terme de sa vie avec nous et nous l’entourons au centre pastoral Saint Merri où il était engagé avec maman depuis 35 ans, dans cette communauté où il célébrait la Parole de Dieu et cherchait inlassablement à la comprendre et à la vivre.
Votre présence, notre présence à tous, témoigne de notre affection, de notre attachement à Jacques de Vathaire et de notre volonté de proclamer qu’il continue à exister pour nous tous, que nous avons le désir qu’il vive avec nous et en nous, que sa vie qui sera mise en terre continuera à porter des fruits.

Philippe, gendre de Jacques
Jacques avait reçu à sa naissance et dans l'enfance le catholicisme en héritage familial, mais toute sa vie, il aura inlassablement remis en chantier, actualisé et fait fructifier cet héritage. Il aura retenu la leçon de la parabole des talents, en mobilisant les ressources personnelles de son intelligence, de son cœur et de sa sensibilité, en cultivant son goût du dialogue et des relations, en désirant que la Parole de Dieu s'incarne dans sa vie personnelle, dans la vie de l'Église et celle du monde.
Il n'aura jamais cessé d'être de l'Église et de lui témoigner sa fidélité, à travers les multiples engagements par lesquels il l'aura servie : à St Merri, auparavant à Saint-Séverin, à Saint Germain-des-Prés, et toutes ces dernières années au service diocésain des funérailles au Père Lachaise. Il aura noué dans l'Église des amitiés fortes et fructueuses ; il connaissait intimement les Écritures. Et son activité professionnelle à Bayard a été encore une manière d'œuvrer à la diffusion de la culture religieuse. Mais cette fidélité était tout sauf celle d'un béni oui-oui. Jacques a voulu comprendre en profondeur la foi qui était la sienne, la foi des chrétiens, la foi de l'Église, et il s'en est donné les moyens, par exemple en consacrant du temps de sa vie déjà bien remplie à l'intelligence de la foi, à la théologie, mais aussi, plus largement, à la fréquentation de tant et tant de figures et d'ouvrages qui questionnaient le christianisme, qui interrogeaient la situation de l'Église dans le monde, ou les crises de notre société. Que de découvertes ferventes et passionnées en sa compagnie ! Maurice Clavel proférant son paradoxal Ce que je crois, René Girard dévoilant Des choses cachées depuis la fondation du monde, Marie Balmary relisant la Bible à la lumière de la psychanalyse... Plus récemment, c'était Timoty Radcliffe, Jean-Claude Guillebaud, Elena Lasida, Mgr Albert Rouet, ou tel contributeur de la revue Études dont il était un fidèle lecteur, ou bien encore ses amis d'Aujourd'hui des chrétiens... Cette intelligence de la foi a aiguisé l'esprit critique et frondeur qui marquait toute sa personnalité et dont il n'a pas épargné son Église quand il estimait qu'elle se sclérosait et dénaturait le message dont elle est porteuse. Le christianisme de Jacques était bien celui d'un homme debout - l'attitude du Ressuscité -, qui ne supportait pas que l'indignité, l'humiliation, le mensonge ou l'indifférence rabaissent la grandeur de l'homme créé à l'image de Dieu.
Mais le même Jacques gardait aussi une singulière tendresse pour les images de piété surannées de jadis qu'il collectionnait et présentait avec un mélange inimitable de fascination et d'irrévérence, en un hommage paradoxal aux croyants humbles et anonymes des temps passés. Jamais la foi n'aura chez lui anesthésié l'humour : Jacques aura été un chrétien qui, comme chrétien, ne se prenait pas au sérieux. Trois jours avant sa mort, il parlait encore de la multiplication des pains et des noces de Cana pour mettre en doute les connaissances de Jésus en matière de vin...
La foi de Jacques a aussi nourri et stimulé sa propre créativité : en témoignent les textes de méditation sur la mort qu'il a écrits à partir de phrases d'Évangile, en témoigne aussi l'inventivité liturgique qu'il a pu manifester à St Merri, mais aussi au Père Lachaise en concevant des célébrations de funérailles adaptées aux personnes les plus diverses, souvent aux marges de l'Église ou loin d'elle. On le voit, la mort ne l'aura pas pris par surprise ; très consciemment, par l'attention à la mort des autres et la méditation de la Parole de Dieu, il aura préparé la sienne.
Gratitude à Jacques d'avoir été ce chrétien en toute sa personne, ce chrétien adulte, vigoureux et solide ; d'avoir éveillé autour de lui le désir de mieux comprendre qui est Dieu révélé en Jésus-Christ ; de n'avoir pas seulement clamé « Seigneur, Seigneur ! » comme un homme aux abois et sans conscience, mais d'avoir mis en pratique la Parole de Dieu et d'avoir montré, par tous les engagements de sa vie, que cette Parole semait la joie et la liberté.

Jean-Marc Lavallart
C’était en 1986, le chômage commençait à s’aggraver et nous étions quelques-uns dans cette communauté de Saint-Merri à nous interroger sur la nécessité de réagir contre ce fléau. Plusieurs d’entre-nous sont ici présents aujourd’hui - et je pense aussi à deux d’entre eux qui nous ont quittés il y a déjà longtemps, Jean-Claude Delaporte et Jean-Pierre d’Harcourt.

C’est ainsi que nous avons créé avec Jacques notre groupe chômage comme l’un des groupes Droits de l’Homme du Centre Pastoral de Saint-Merri, conscients de ce que l’exclusion prolongée du monde du travail met en cause directement la dignité humaine. Et nous avons rejoint l’Association Solidarités Nouvelles face au chômage pour accompagner les chômeurs en grande difficulté, ceux qui progressivement sont mis hors circuit et perdent leurs repères.

Accompagner, ce n’était pas simple pour la plupart d’entre-nous. Il s’agit d’aller à la rencontre d’une personne qui a essuyé bien des attentes déçues, des humiliations, des situations de condescendance, parfois de mépris à travers des regards évaluateurs.

Mais après les premières rencontres, la relation va pouvoir s’instaurer, et celui ou celle que nous accompagnons va comprendre que nous n’allons pas lui offrir un emploi, le prendre en charge ou l’assister. Encore moins agir ou penser à sa place. Il va simplement enfin commencer à pouvoir respirer et à retrouver un espace.

Pour Jacques, accompagner était complètement naturel, et pour cause, il aurait abordé la reine d’Angleterre ou un SDF avec la même aisance…de la rue de Grenelle au Boulevard de Belleville ! Il allait vers l’autre en l’acceptant tel qu’il est sans effraction, en le rejoignant sur son chemin et non en l’attirant sur le sien. Entrant dans son histoire, il marchait à sa vitesse sans lui imposer la sienne.

Jacques dans sa relation avec les exclus se comportait comme dans la vie. Il savait immédiatement faire exister l’autre par son regard. Il l’abordait sans aucune idée préconçue, sans aucun jugement avec son bon sens de paysan des Landes. Il était curieux de le connaître. Il lui arrivait de provoquer, de bousculer, mais il agissait comme un révélateur qui permettait à tel ou tel accompagné de sortir de ses impasses et de voir s’ouvrir de nouveaux chemins.

Je suis sûr que grâce à toi Jacques, beaucoup d’entre eux ont pu retrouver du prix à leurs propres yeux, et sont repartis confiants vers de nouveaux horizons.

Autour de toi Jacques, il y a tous les amis ici présents. Il y a ceux qui n’ont pas pu venir. Il y a aussi et surtout tous ceux qui ne sont pas aujourd’hui dans cette Eglise et que tu as rencontrés, accompagnés et remis Debout. Ce sont eux les véritables témoins de ton engagement pour construire et accomplir le Royaume de Paix et d’Amour auxquels le Christ nous demande de participer.

Ce sont eux qui t’escortent et t’accompagnent vers l’autre versant…

Et je sens à quel point Jacques est présent au milieu de nous et je le vois, lui qui n’a jamais rien dramatisé se pencher vers toi, Renée-Noël et te disant à mi-voix, de son air faussement goguenard « mais pourquoi tout le monde parait triste et dans la peine ? » et je te vois lui répondre, faussement naïve dans un grande sourire - avec ton regard malicieux « arrête Jacques, tu exagères ! ».

Isabelle Pépin
D’abord Jacques, ce n’est pas pour toi que nous prions aujourd’hui mais avec toi …Si il y avait une seule phrase que je retiendrais de Jacques lors de ces années passées avec lui à l’aumônerie du crématorium ce serait celle-ci. « Nous ne sommes pas là pour prier pour les morts mais avec eux ».
Jacques a pendant plusieurs années accompagné des familles en deuil au crématorium du Père Lachaise, il a célébré plus de600 bénédictions…c’était le seul d’entre nous aussi à l’aise pour chanter un Salve Regina, ou écouter avec la famille un chant de Dalida avant de célébrer.
Lors des réunions de l’aumônerie, son humour pétillant d’intelligence, toujours respectueux de chacun, nous évitait de nous refugier dans des nébuleuses de paroles vides, nous incitait « à aimer non pas avec des discours et des paroles mais en actes et en vérité »
l’A- Dieu qu’il souhaitait, il le voulait en trois temps :
- la veillée de prière autour du défunt, le rassemblement et la prière de ceux qu'il aimait, de sa famille, chez lui.
- la célébration à saint -Mery, son église
- Et son dernier adieu au cimetière chez vous. Merci, Renée-Noel d’en avoir fait ainsi.

Une dernière chose, Jacques détestait l’utilisation des mots « repos éternel », quel ennui disait- il !
Par contre il disait : la mort ? « Une plénitude de vie, d’amour et d’action amoureuse en union avec Dieu, une action dans le monde qui ne laisse place à aucune fatigue, et à aucun repos. »
Alors merci de travailler pour nous jacques !