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LES MOTS DE LA FOI
mardi 10 janvier 2006
Intervention du Père Yves-Marie BLANCHARD, théologien
« Je suis le chemin, la vérité,
la vie »
Présentation par Charles Fournier (CF):
Yves Marie Blanchard, curé de St-Hilaire de Poitiers, est agrégé
de lettres, docteur en théologie. Il enseigne la patristique à
l’Institut catholique de Paris. Il est directeur de l’Institut
des Etudes oecuméniques. Ses titres le qualifient pour nous emmener
dans ce vaste domaine que nous avons ouvert avec les « mots de la
foi ».
« Je suis le chemin, la vérité et la vie » :
ces mots ont suscité notre intérêt . Accouplés
au verbe « être », ils nous sont apparus comme une phrase-clé
pouvant mettre en mouvement tout l’Evangile. Mais comment entrer
dans ce mouvement ?
Je vous livre rapidement trois questions qui me sont venues à
l’esprit quand on m’a demandé de préparer cette
rencontre.
? La 1ère : dans quel contexte cette phrase a-t-elle été
mise dans la bouche de Jésus puis reprise par Jean : politique
, social, religieux. Ce contexte a-t-il des points communs avec celui
d’aujourd’hui ?
? La 2e : ce n’est pas la 1ère fois que Jésus se
présente en disant « Je suis ». L’évangile
de Jean fourmille de : « Je suis le pain de vie », «
Je suis la porte », « Je suis la résurrection »…
Curieuse et importante façon - qui nous interroge - de présenter
son identité ! En plus, ces affirmations de Jésus n’empêchent
pas les questions des apôtres : « Où demeures-tu ?
Nous ne savons même pas où tu vas… », «
Comment en connaîtrions-nous le chemin ? ». Il semblerait
que la totalité des 4 évangiles ne soit pas suffisante pour
nous aider à répondre à la question de Jésus
: « Que dites-vous que je suis ? ». On a besoin de votre aide,
Père, à ce moment-là !
? La 3e question : Ces mots « chemin, vérité, vie
», on les retrouve sans cesse t isolément ou non dans l’Ancien
Testament comme dans le Nouveau. Mais chez Jean, chacun de ces mots a-t-il
une résonance propre. Au contraire, résonnent-ils ensemble,
en harmonie ? Sont-ils une sorte de synthèse de toutes les valeurs
exprimées dans St- Jean après le verbe « Je suis »
? Pour nous, dans notre vie quotidienne, ces mots ont-ils du poids, sont-ils
des moteurs, des indicateurs ? Donc je vous livre ces 3 questions. Nous
les reprendrons sûrement à partir des questions que vous
poserez au Père Blanchard.
C.F .Dans quel contexte figure cette parole du chapitre 14 de l’Evangile
de Jean : »Je suis le chemin, la Vérité et la Vie
» ?
Yves-Marie Blanchard (YMB) Le contexte ? Ce n’est pas très
compliqué ! Il suffit d’ouvrir
son évangile et de voir que le chapitre 14 fait partie de la grande
section des discours testamentaires, ces fameux discours qui précèdent
le récit de la Passion et de la Résurrection.
Vous savez que dans l’évangile de Jean, en gros les 12 premiers
chapitres, c’est le temps de la vie publique ce qu’on appelle
« le livre des signes » et, à partir du Lavement des
pieds,.début du chapître 13, on entre dans le « récit
de l’heure », le « récit de la gloire ».
Ce sont des mots phares du 4e évangile avec la Passion et la Résurrection.
Et entre le Lavement des pieds et l’arrestation de Jésus,
vous avez une longue séquence de discours, du chapitre 13,21 jusqu’à
la fin du chapitre 17 : cela fait 4 chapitres ½ et si on y regarde
de près en fait il y a 3 discours :
- un 1er discours qui commence en 13, 21 et qui va jusqu’à
la fin du chapitre 14 en se terminant par cette phrase : « Levez
vous, partons d’ici ». Comme à l’opéra,
personne ne se lève et personne ne part ! et Jésus continue
comme si de rien n’était…
- un 2e discours qui va aller jusqu’à la fin du chapitre
16
- et le 3e discours, le chapitre 17 : c’est une prière, c’est-à-dire
un discours adressé à Dieu auquel Jésus dit «
tu » et qui va être centré sur le thème de l’unité.
C’est la grande prière de l’unité des chrétiens.
On peut en faire mémoire aujourd’hui, à quelques jours
de la semaine de l’unité.
Alors ces 3 discours qui, d’ailleurs, se présentent comme
un seul - mais il y a suffisamment d’indices pour y voir au
moins 3 discours - sont évidemment recomposés par
la communauté. Jésus n’est pas monté sur une
chaise pour faire des discours interminables. C’est un montage de
ce qu’on appelle des « loggia », c’est-à-dire
des éléments de paroles simples, très courtes. Vous
savez, les 1ères générations chrétiennes ont
vécu dans le souvenir mais aussi dans la présence des paroles
du Seigneur. Le Seigneur est ressuscité Il continue de parler dans
sa communauté et on se remémore et on émet et on
produit les paroles du ressuscité qui nous renvoient à ce
que Jésus disait avant la croix, mais qui sont aussi le signe de
sa présence parmi nous. Et ses paroles vont se monter, un peu comme
on emboîte des dominos, les unes dans les autres. Cela va faire
des sections de plus en plus longues de paroles qui avancent un peu comme
les dominos : on fait un pas en arrière, un pas en avant et cet
espèce de rythme lent qui revient sur lui-même et avance
toujours d’un pas, crée le long discours du 4e évangile.
L’objet du discours
L’objet de ces longs discours avant la passion est en fait de répondre
à plusieurs questions des communautés :« Qu’allons
nous devenir après la mort de Jésus ? » et Jésus
va parler du don de l’Esprit saint, l’Esprit paraclet qui
va donner à la communauté la force pour témoigner
et encaisser les persécutions et les difficultés…«
Qu’allons nous devenir ? Où Jésus est-il parti ? Cette
mort de Jésus, est-ce un abandon de la part de Dieu ? Qu’est-ce
que cela veut dire ? Où va-t-on ? Quel est le chemin ? Comment
pouvons-nous te suivre ? Qu’est ce qui va nous arriver ? A quelle
condition pourrons-nous continuer de témoigner de notre foi ? ».
Jésus répondra : « A condition que vous soyez unis.
Si vous ne vivez pas l’unité, vous allez tout droit à
votre perte. Le monde ne croira pas si vous ne vivez pas dans l’unité
comme le Père et le Fils nous sommes unis ».
Bref, voyez, les discours testamentaires sont cette espèce d’interprétation,
au regard de la foi, du mystère pascal de mort et résurrection,
et l’interprétation qui nous est donnée avant même
le récit. Avant de lire la Passion de St Jean, si on a lu l’Evangile
de façon continue, on sait un peu ce qui va se passer. Jésus
nous a dit quels étaient les enjeux de cette mort. Jésus
nous a dit ce qu’il attendait de nous, au-delà même
de sa disparition. Il nous a dit comment il continuerait à être
présent notamment par la médiation de l’Esprit-paraclet,
de l’esprit défenseur, de l’esprit qui va nous soutenir
et nous inspirer les mots de la foi et nous permettre de faire «
anamnèse », de faire une mémoire vivante des paroles
de Jésus : « L’Esprit-paraclet vous fera vous souvenir
de tout ce que je vous ai dit ».
Voyez, c’est dans ce contexte-là que nous avons le fameux
verset 14,6 : « Je suis le chemin, la vérité et la
vie ». C’est une question de Thomas : « Seigneur, nous
ne savons même pas où tu vas. Comment saurions-nous le chemin
? » et Jésus répond : « Je suis le chemin, la
vérité et la vie ».
Un genre littéraire très à la mode
Alors je termine en disant que ces discours testamentaires constituent
en soi un genre littéraire qu’on retrouve dans beaucoup de
textes du judaïsme ancien. On a des livres entiers qu’on appelle
« les testaments » : le testament de Joseph, le testament
de Benjamin, le testament de Lévi. C’était un genre
littéraire très à la mode où l’on fait
parler quelqu’un avant sa mort et, le faisant parler, on transmet
l’essentiel de son message. De la même façon, l’évangile
de Jean donne la parole à Jésus avant la passion pour rassembler
de façon un peu systématique un certain nombre des expressions
dans lesquels la communauté va, 30, 40 , 50 ans après Pâque,
continue à faire mémoire de la mort et de la résurrection
de Jésus introduisant dans cette mémoire sa propre expérience.
Par exemple, si le testament de Jésus chapitre 17, c’est
la prière pour l’unité, c’est que la communauté
était elle-même fort divisée. On ne parle pas d’unité
quand cela va bien ; on parle d’unité quand elle fait défaut
et on sait aujourd’hui, après avoir beaucoup étudié
le milieu que la communauté de St Jean a connu une crise très,
très grave vers la fin du Ier siècle, une crise que l’on
retrouve dans les épîtres de St Jean et manifestement la
prière de Jean 17 appartient aussi à cette époque
où la communauté est consciente qu’elle ne sera fidèle
au Ressuscité qu’en s’engageant sur les chemins de
l’unité et le Ressuscité lui-même revient en
quelque sorte dire à la communauté qu’elle est son
devoir en ce domaine.
Voilà un peu le contexte, ce sont des discours d’une importance
considérable parce qu’ils éclairent comme un projecteur
le récit de la Passion et de la Résurrection, nous introduisent
dans ce récit et je termine simplement par une ouverture : lisez
l’évangile de St Jean du début à la fin, comme
tous les évangiles. La pratique de la liturgie par petits morceaux
ou la pratique de l’étude, de l’exégèse
par petits morceaux est nécessaire mais c’est une grande
faiblesse aussi. Il faudrait toujours faire dans sa vie, ne serait-ce
que pendant les vacances ou pendant une retraite : « eh bien je
relis un évangile du début à la fin ». Vous
verrez le mouvement qu’il y a, et la perte qu’il y a à
tout saucissonner en toutes petites unités. Entrez dans le mouvement
d’un évangile, commencez par le prologue, suivez Jésus,
se poser des questions et entrer peu à peu au coeur du mystère,
traverser cette longue séquence de discours pour être alors
devant l’événement de la croix en mesure de la recevoir
selon la signification et la portée que le 4e évangile a
voulu lui donner.
C.F. : la parole de Jésus commence par « Je suis ».
Que signifie cette expression ? Est-ce simplement une forme du verbe être
? Faut-il y voir bien davantage ?
Y.-M. B : Vous avez posé la question parce que vous connaissez
la réponse ! Evidemment le « Je suis » de St Jean,
en grec « ego eimi » n’est pas simplement la conjugaison
du verbe être.
Ce que je dis là n’est pas original, tous les spécialistes
de St Jean le pensent. Il y a une telle mise en scène, une telle
insistance sur le « Je suis » de Jésus que l’on
pense qu’un bon lecteur - un lecteur qui connaît un
peu sa Bible par cœur : un bon lecteur de l’évangile
c’est quelqu’un qui connaît son Ancien Testament -
vous comprenez : pour lire un journal en allemand, il faut avoir appris
l’allemand. Pour lire le Nouveau Testament, il faut connaître
l’ancien. L’ancien est la grammaire du nouveau, c’est
la langue. C’est en lisant l’Ancien testament que l’on
apprend la langue, qui permet ensuite de lire le Nouveau et une fois qu’on
lit le Nouveau, on re-découvre l’Ancien par un espèce
de mouvement de miroir.
Alors, le texte auquel tout le monde pense et les Pères de l’Eglise
n’ont pensé qu’à cela car ils vivaient dans
la présence de l’Ancien Testament, « Je suis »
c’est évidemment : Exode 3,14, la scène du Buisson
ardent. Quand Moïse demande à Dieu : « Mais qui es-tu
? Qu’est-ce que je vais dire… » Le Seigneur dit à
Moïse : « Tu iras trouver Pharaon… » - «
Oui, mais moi, pour aller trouver Pharaon, qu’est-ce que je vais
dire…Pharaon va me demander : « Qui es-tu ? »
Alors on met quelquefois « révélation du nom divin
» mais ce n’est pas un nom, justement Dieu n’a pas de
nom. Il est au-delà de tout nom, de toute possession de l’homme
sur Lui. Et au lieu de donner un nom il dit : « Je suis ».
« Je suis ». Alors « Je suis qui je suis », «
je suis ce que je suis », « je suis celui qui est »,
» je suis qui je suis… je serai qui je serai… »
On peut chercher en français un certain nombre de traductions possibles,
en tout cas, le « je suis » qui dans la Bible grecque se dit
« ego eimi » est l’affirmation de Dieu dans sa souveraine
puissance, dans son caractère inconnaissable, au-delà de
tout nom et lorsque Jésus, comme dans St Jean, énonce ce
« Je suis » l’évangéliste - et le lecteur
complice au titre de leur connaissance de l’Ancien Testament - sont
censés entrevoir, se rappeler la grande scène théophanique
de manifestation de Dieu à Moïse à travers ce nom mystérieux
« Je suis ».
Une auto-désignation ?
Autrement dit, tous les « Je suis » du 4e évangile
auraient valeur d’auto-désignation divine. Jésus s’auto-désigne
comme l’égal de ce Dieu qui, à Moïse, s’est
révélé, en prononçant ces mots « Je
suis » et qui n’a cessé, tout au long de l’Alliance,
de renouveler avec le peuple de Dieu cette relation de proximité,
cette relation de réconfort, de libération car - ce
qu’il faut bien se dire - c’est que le « Je suis
» de Dieu à Moïse n’est pas un « Je suis
» de philosophie, de métaphysique. Dieu ne dit pas «
Je suis l’être absolu », ce qui n’est jamais qu’un
concept, et quoi qu’on ait dit, pas plus en grec qu’en hébreu
car on fait dire n’importe quoi au grec. Le grec n’est pas
plus ontologique que l’hébreu en l’occurrence ! C’est
tout au moins ce que je pense. « Je suis celui qui est »,
alors bien sûr les philosophes vont dire « ah, mais c’est
l’ontologie… c’est l’être unique, suprême
! » mais lisez le texte : Dieu ne dit pas qu’il est l’être
absolu en soi. Il s’engage à libérer son peuple de
l’esclavage et c’est en tant qu’il libère son
peuple de l’esclavage que Moïse peut dire : « Je suis
» ou bien « Il est » car c’est Moïse qui
parle, ce n’est plus « Je suis » mais « Il est
» m’envoie vers toi Pharaon pour qu’il libère
mon peuple. Ce n’est pas un être de dieu dans l’absolu,
c’est un être de Dieu qui n’est jamais si grand, si
inconnaissable que lorsqu’il se met, en quelque sorte, à
l’écoute de son peuple et qu’il s’engage concrètement
avec son peuple.
Le Dieu de l’Ancien Testament est le Dieu Tout Autre, l’inconnaissable,
l’ineffable mais il est le Dieu tout autre qui ne se fait connaître
qu’en étant le Dieu tout proche, Celui qui s’engage
au service de son peuple, Celui qui libère son peuple de toutes
les puissances d’oppression. Et vous savez que le fameux Yahvé
qu’il ne faudrait pas prononcer d’ailleurs car nos frères
juifs ne le prononcent pas et par respect il faut mieux dire « le
Seigneur » comme dans la bible grecque, on traduit par « kyrios
» et dans la Bible latine par « Dominus », le Seigneur
comme dans la Tob.
Eh bien le fameux Yahvé, c’est un jeu sur la conjugaison
du verbe être !. Dieu dit « je suis qui je suis » et
quand Moïse dit « Il est », il conjugue le verbe être
et c’est sans doute la forme sous laquelle on a vocalisé
Yahvé à une époque. Bref, Yahvé, le Seigneur,
c’est en fait « Il est ».car Dieu ne se fait connaître
qu’en disant « je suis » mais en disant « je suis
» il se fait connaître dans sa générosité
et son engagement au service de son peuple.
Alors je termine là-dessus. Le « Je suis » de Jésus
chez St Jean est à poursuivre d’un attribut : « Je
suis le Bon Pasteur, : Je suis la vraie vigne, : Je suis la porte, : Je
suis la résurrection…. Je suis… » Et quels sont
les attributs ? Ce sont des images de la nourriture, de la vie, de la
sécurité. Jésus assume pleinement le « Je suis
» de Dieu dont il s’auto-désigne comme l’égal
de Dieu et de même que le « Je suis » de Dieu n’est
jamais aussi vrai que lorsque Dieu s’engage avec Moïse pour
libérer son peuple, de même le divin de Jésus ouvre
sur des attributs qui disent le salut, c’est-à-dire la médiation
de ce Jésus, Fils de Dieu source de vie pour les hommes qui adhèrent
à Lui par la foi. Voilà un peu le cœur du « Je
suis ».
Alors, il y a deux passages de St Jean bizarres : en 8, 27 où dans
un discours, le « Je suis » n’est pas suivi de l’attribut.
C’est encore plus fort : Ils ne comprirent pas qu’Il leur
avait parlé «du Père. Jésus leur dit alors
: « lorsque vous aurez élevé le Fils de l’Homme,
vous connaîtrez que je suis et que je ne fais rien de moi-même,
je dis ce que le Père m’a enseigné, celui qui m’a
envoyé est avec moi » - on entend Dieu parlant à
Moïse - Il ne m’a pas laissé seul, etc.
Je termine par une sorte de double sens - comme l’évangile
de Jean en est truffé - au moment de l’arrestation,
les soldats disent : « nous cherchons Jésus de Nazareth…
- Jésus dit « c’est moi » or « c’est
moi » en grec c’est « ego eimi »…. (même
mot que « je suis »). Donc double sens. Qui lit l’évangile
en grec, il entend le « c’est moi » qui répond
à la question « nous cherchons Jésus le nazaréen
» : « c’est moi » mais le « c’est
moi » de Jésus le nazaréen est en fait une auto proclamation
de Jésus dans sa condition divine : « Je suis ». l
La preuve est que les soldats se précipitent à terre, terrassés
comme devant une théophanie, c’est-à-dire une manifestation
de Dieu dans sa gloire. Donc le rédacteur johannique, très
habile, raconte l’événement : Jésus est arrêté,
et dit « c’est moi » c’est déjà
une façon de dire qu’il ne se cache pas, qu’il assume
pleinement son destin - d’ailleurs il va dire : « Laissez
tranquille mes disciples » - en toute connaissance, en toute conscience,
en toute liberté mais, ce faisant il atteste qu’il révèle
sa propre condition divine, son identité avec ce Dieu libérateur
dont il est en quelque sorte le serviteur, et beaucoup plus que serviteur
: le Fils éternel et les soldats qui sont venus pour l’arrêter
- c’est peut-être invraisemblable mais symboliquement
c’est très fort - sont précipités à
terre comme devant Dieu en personne.
Vous comprenez qu’un lecteur qui lit cela attentivement a déjà
des clés de lecture pour la Passion. La Passion de St Jean est
une passion où Jésus souffre autant que chez les autres
évangiles. Il n’empêche que, au-delà même
de cette souffrance physique et morale de Jésus, c’est sa
pleine royauté de fils qui est révélée comme
dans ces magnifiques Christ romans où le Christ n’en est
pas moins crucifié, pas moins crucifié qu’ailleurs
mais il y a une espèce de transfiguration de son corps déchiré
comme un corps déjà de gloire et on a ce même mouvement
dans l’évangile de Jean autour du « Je suis ».
C.F. : Nous arrivons aux trois mots. Commençons par « le
chemin ». Pour définir Jésus, ce mot est quand même
bien étrange. Est-ce que la Bible peut nous aider à en trouver
la valeur ?
Y.-M. B. : Effectivement, le « Je suis le chemin » est étonnant…
Le mot « chemin » est très fréquent dans la
Bible. Dans la traduction française de la Bible, la Tob, - j’ai
regardé la Concordance, cela ne veut pas dire qu’en hébreu
ou en grec ce soit toujours le même mot, peu importe… -
il y a environ 400 fois le mot « chemin ». Cela veut dire
que la Bible parle beaucoup, beaucoup de chemin. Je regardais dans les
Psaumes, dans le Livre d’Isaïe, dans les Livres de Sagesse,
reviennent continuellement : « le chemin », « mes chemins
», « mes chemins ne sont pas vos chemins », «les
chemins de Dieu », « les chemins de l’homme ».
On a vraiment l’impression d’une spiritualité du chemin,
d’autant plus que les 2 événements-clés sont
l’Exode et l’Exil.
L’Exode qui est le chemin de la liberté : le peuple qui remonte
de l’esclavage à travers la mer et le désert va tracer
son chemin vers la Terre Promise.
L’Exil, c’est aussi le chemin de la déportation et
ce grand chemin du retour chanté notamment par le prophète
Isaïe. Bref, cette spiritualité du chemin, cette image de
la vie du Peuple de Dieu ou la vie chrétienne est un chemin…
Chez St Jean vous avez toujours « qui marche dans la lumière
», « qui marche dans les ténèbres »…
Vous avez toujours l’idée de la marche, du chemin. Alors
le caractère paradoxal de l’énoncé est que,
non seulement l’alliance est un chemin vers Dieu - chemin de Dieu
vers l’homme et chemin de l’homme vers Dieu - non seulement
la vie chrétienne est un chemin, une démarche, un cheminement,
mais que, par exemple, l’opposition lumière-ténèbres
joue à l’intérieur de ce cheminement de l’homme.
Ici, ce qui est tout à fait étonnant est que Jésus
lui-même est identifié au chemin alors même que le
« Je suis » le qualifie comme Dieu. Dieu est non seulement
Celui vers qui nous allons ou celui qui vient ; il est celui par qui il
faut passer pour que soit vécue la rencontre entre Dieu et l’Homme.
Jésus est celui en qui Dieu et l’Homme ne font qu’un.
Celui en qui Dieu va totalement jusqu’à l’homme en
se faisant le plus petit des hommes et celui en qui l’homme va totalement
à Dieu par un « oui » total sans séparation,
sans rupture entre son être d’homme et le projet de Dieu.
Il y a en Jésus-Christ un chemin de Dieu vers l’homme et
un chemin de l’homme vers Dieu qui a vocation d’être
chemin de l’homme dans son expérience même de Dieu,
dans cette aventure de la foi, aventure de la rencontre. Je pense à
des choses qui sont importantes : quand le Christ est censé dire
à Blaise Pascal en plagiant d’ailleurs St Augustin : «
Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais pas trouvé ».
Trouver et chercher sont devenus semblables. Chercher Dieu, c’est
déjà l’avoir trouvé et l’avoir trouvé,
c’est continuer de le chercher.
Or en Christ, chemin de Dieu, chemin vers Dieu et chemin de Dieu en Christ
par l‘adhésion totale à la personne du Christ -
il aurait fallu relire tout Saint Jean - c’est bien l’itinéraire
de l’homme vers Dieu et de Dieu vers l’homme qui se trouve
totalement incarné, réalisé.
Voyez le « Je suis », on pourrait imaginer - les philosophes
ne s’en sont pas privés - comme un « Je suis
» abstrait - l’Etre suprême de Dieu avec 3 E majuscules
mais cet Etre de Dieu est toujours un être pour l’homme .
Il ne nous rejoint et ne se révèle à nous que dans
un être « pour ». Et ce « Je suis » : Je
suis la Vie, Je suis le pain, Je suis la porte, etc… cet être
de Dieu en Christ se fait aussi et d’abord chemin. Mettre ses pas
dans les pas du Christ - si le Christ est chemin - la foi selon
St Jean est aventure en chemin. Elle est adhésion à celui-là
même qui est l’Absolu de Dieu en étant d’abord
le chemin, celui qu’on trouve quand on le cherche et celui qu’on
cherche quand on le trouve. On est complètement à l’opposé
d’une lecture ontologique ou métaphysique qui ferait du «
Je suis » de Dieu à Moïse ou du « Je suis »
de Jésus un concept dans un monde lointain et inaccessible. L’être
même de Dieu est un être « pour ».
CF : le 2e terme est le mot « vérité ». Peut-on
lui donner le sens que les philosophes lui donnaient … ?
Y.-M. B : Alors là aussi même chose.
Bien sûr, en grec le mot aleteia veut dire le dévoilement.
Que le mot grec ait rapport à l’activité intellectuelle
qui va au-delà des apparences, qui atteint la réalité
cachée, profonde de l’être, d’accord. Mais on
ne peut pas exclure de la langue de St Jean tout le contexte grec y compris
philo. Là aussi, si vous regardez ce qu’est la vérité
dans l’Ancien Testament, c’est le mot « emeth ».
Il y a plusieurs mots mais le mot le plus important est « émeth
». c’est de la même famille qu’ « amen »..
C’est un mot qui ne dit pas le dévoilement de l’idée
éternelle derrière les apparences trompeuses.
Le mot « vérité » veut dire d’abord «
fidélité ». Le mot « émeth », on
le traduit par fidélité mais c’est aussi la vérité.
Le couple que l’on retrouve dans le prologue de St Jean «
grâce et vérité », on le traduit par «
vérité ». Or qu’est-ce que « émeth
» : c’est la fidélité de Dieu. Ce n’est
pas la vérité intellectuelle, c’est la vérité
en actes. C’est la vérité en engagement, c’est
la vérité d’un Dieu qui est fidèle parce qu’il
est un rocher comme disent les Psaumes. Il est stable, il est celui sur
qui je peux m’appuyer, celui qui jamais ne me fera faux bond, celui
qui jamais ne me lâchera, ne me trompera.
« Je suis la vérité » c’est « Je
suis ce que Dieu est » en tant qu’Il est permanence, stabilité,
fidélité inébranlable : le Dieu fidèle. Le
Dieu auquel je peux dire : « Amen » c’est-à-dire
« J’y crois parce que c’est solide ». C’est
l’idée de solidité. Vous voyez, ce n’est pas
l’idée de vérité grecque. Cette vérité
grecque est la face cachée dans un monde d’apparences où
tout est trompeur sauf les idées éternelles qui sont cachées
derrière l’apparence des choses et le travail de l’intellectuel
va être de dépasser l’opinion, la doxa, l’apparence,
pour atteindre la vérité comme une espèce d’essence
extrêmement pure et insaisissable. Ca reste très abstrait
.
La vérité, dans l’Ancien Testament, c’est la
vérité de l’amour. C’est le fait de «
Tu peux compter sur moi comme je peux compter sur toi », c’est
le fait que je ne te laisserai pas tomber si tu es dans la peine, c’est
le fait que Dieu ne reprend jamais sa parole, c’est le fait que
Dieu passe par dessus les fautes de son peuple tant il est le Dieu fidèle
qui ne remet pas en cause ses engagements. Voyez, c’est l’idée
de stabilité, de permanence. Repensez aux Psaumes : « Dieu
est une maison fortifiée, Dieu est une citadelle, un rocher »
. Il est vrai parce qu’il est solide, fidèle. Il est stable,
parce que je peux m’appuyer sur Lui, je peux bâtir sur Lui.
« Je suis le chemin » : l’image de Dieu qui s’identifie
à notre propre chemin, Dieu qui se fait proche au point d’être
chemin de l’homme à la recherche de sa propre identité
:
« Où demeures-tu ? » « Venez et vous verrez ».
C’est bien ça « je suis le chemin ». «
Où demeures-tu ? » : 1e question des disciples au chapitre
1 de St Jean. « Venez et voyez ». « Qui croit en moi,
qu’il marche après moi ». « Qui vient à
moi… ». Ce sont toujours des images de la marche et, chez
St jean, on ne dit pas « croire à Jésus » comme
on croit à une vérité, on dit « croire en Jésus
» avec un verbe de mouvement, croire vers Jésus en se tournant
vers lui, et à côté de ce mouvement qui pourrait donner
l’impression de quelque chose d’un peu vague, il y a : «
Je suis la vérité ». Et en tant que « Je suis
», en tant que Jésus assume le « Je suis » de
Dieu, il peut se présenter comme chemin et vérité.
Comme, en quelque sorte, disponibilité et ouverture pour un itinéraire
de croissance de l’homme en allant toujours plus loin sur ce chemin
qui lui révèle sa propre identité en lui faisant
découvrir le Père, en lui révélant qu’Il
est Fils.
Et de la même façon - comme en contrepoids -
ce « Je suis » de Dieu en qui Jésus se reconnaît
va connoter toutes les valeurs de fidélité, de durée,
de permanence. Et quand vous dites « Amen », vous dites :
Oui, j’y crois, oui cela est solide parce que Dieu est solide. Cela
est vrai parce que Dieu est vrai, cela est fidèle parce que Dieu
est fidèle. Ce n’est pas une vérité de la théorie,
c’est une vérité de la relation, c’est une vérité
de l’alliance, une vérité dans l’amour.
Apprendre à parler la langue qui est la nôtre
Voyez, l’important est d’arracher chacun de ces mots à
notre langue pour les remettre dans la langue des écritures. Un
exemple : quand on parle du mot « esprit » en français,
on pense à tout sauf au souffle de Dieu. On pense à l’esprit,
à l’intelligence et bien non !, l’esprit dans la Bible
n’est pas le nom qui veut dire l’intelligence. Il y en a d’autres
dans la Bible et on est empoisonné dans notre culture parce que
le mot « esprit » a été totalement détourné
du côté de l’intellect. C’est l’un des
sens possibles du mot mais ce n’est pas le sens biblique. Cela ne
veut pas dire qu’il n’y a pas d’intelligence dans la
Bible, ce n’est pas le mot « esprit » qui exprime d’abord
cette dimension intellectuelle. Or quand vous parlez aujourd’hui
de « l’esprit », les gens pensent à l’intelligence.
Les mots sont à re-inventer, non à re-apprendre. Je dis
que la théologie, le catéchisme, et tout ce que vous voudrez,
c’est de l’alphabétisation. Il faut apprendre à
parler la langue qui est la nôtre. En tant que chrétien,
dans notre vie communautaire et dans notre dialogue avec le monde qui
nous demande des raisons pour notre foi, parlons une langue. Nous sommes
étonnés que les gens ne la comprennent pas mais ce n’est
pas là le problème. Ce sera à nous de la traduire
mais pour la traduire, il faut d’abord la comprendre. Or la formation
chrétienne, quelle qu’en soit le niveau, aussi balbutiante
qu’elle soit pour des tout-petits, aussi savante qu’elle soit
pour des très grands théologiens, il s’agit toujours
finalement de poursuivre cet effort de compréhension de la propre
langue pour laquelle nous avons reçu vocation de dire, de partager
entre nous et d’annoncer au monde l’événement
de salut en Jésus-Christ, dont nous sommes habités au titre
même de la foi et dans lequel nous reconnaissons un don de Dieu
tellement grand qu’il ne saurait rester secret et confidentiel.
Quand on a une bonne nouvelle, on la raconte à sa famille …
Cette bonne nouvelle, il faut la raconter entre nous. Pour la raconter
aux autres, encore faut-il encore savoir de quoi nous parlons. Il faut
que nous apprenions. ?
CF : Nous allons vous confier le mot « vie »…
Y.-M. B : Alors vous savez, la « vie », on la trouve au moins
700 fois dans la Bible. Trois fois plus que « vérité
» et 2 fois plus que « chemin ». Mais vous voyez, «
la vie » est vraiment le cœur. Or, on a souvent l’impression
que la foi est quelque chose de sec, d’austère, de cérébral,
mais le mot qui bouillonne à toutes les pages de la Bible, c’est
la vie ! Dieu est la vie. Il est source de toute vie et ses engagements
sont pour la vie.
Les miracles de Jésus attestent à quel point Dieu s’est
engagé sur le front de toutes nos souffrances et de toutes nos
morts, qu’elles soient spirituelles, sociales, autres…, pour
nous re-enfanter à la vie. Dire « Je suis la vie »,
c’est peut-être encore le plus évident, Dieu seul peut
dire « Je suis la Vie » dans la Bible. Dieu seul peut dire
« Je suis la vérité », Dieu seul peut dire «
Je suis le chemin ».
C’est cela peut-être le plus provocant et l’incarnation
du Fils nous fait découvrir que non seulement Dieu propose un chemin
mais qu’il se fait chemin. Mais que Dieu soit la vérité,
c’est évident. Que Dieu soit la vie, c’est encore plus
évident. Depuis la 1e page de la Genèse, tout est toujours
sous le signe de ce Dieu qui est source de toute vie et qui appelle l’humanité
à une vie en plénitude, une vie, bien sûr, qu’il
ne suffira pas de recevoir passivement mais il faudra savoir l’accueillir
et la partager en luttant contre toute forme de violence, de mort ou d’injustice,
en sachant que le mystère même, c’est ce mystère
pascal d’une vie qui triomphe de la mort, d’une vie qui, au-delà
même d’une mort pourtant bien concrète, va rejaillir
dans la mesure où cette mort a été une mort d’amour.
Et du moment qu’il y a de l’amour il y a de la vie capable
de dépasser toute forme de mort, capable même de triompher
de la mort, cet immense mystère pascal qui va évidemment
être totalement en consonance avec cet énoncé : «
Je suis le chemin, la vérité, la vie ».
La grande conclusion
D’ailleurs, si vous relisez la conclusion de l’évangile
de Jean - il y en a plusieurs mais la grande conclusion -
chapitre 20,30-31 : « Jésus a fait encore beaucoup d’autres
signes en présence de ses disciples qui ne sont pas écrits
dans ce livre ; ceux-là l’ont été pour que
vous croyiez que Jésus le Christ est le Fils de Dieu et pour qu’en
croyant vous ayez la vie en son nom. »
Là aussi il faut comprendre ce que cela veut dire. Cela veut dire
: dans sa personne même. Lorsque je dis « Au nom du Père,
du Fils et du Saint-Esprit » je ne dis pas seulement « au
nom de » comme lorsque je signe une procuration, je dis «
dans la présence même du Père, du Fils et de l’Esprit.
»
Le but de l’Evangile, c’est de vous amener à croire
davantage que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu mais d’une
façon telle que votre foi vous fasse vivre, vous fasse gagner en
vie, en humanité, en vitalité, que vous viviez et que vous
viviez de la présence même de ce Jésus Christ fils
de Dieu.
Le thème de la naissance est un thème essentiel dans l’évangile
de Jean : naître, se laisser enfanter, se laisser engendrer à
la condition de fils et fille, à la condition de disciple, en acceptant
de se recevoir d’une autre origine que sa simple origine biologique
terrestre, de se laisser re-enfanter en quelque sorte à une vie
nouvelle de la part de Dieu. Voyez, le projet du 4e évangile est
clair : tout se ramène à la foi.
Ces choses ont été écrites pour que vous croyez.
Mais une foi qui sera à la fois fondée sur la vérité,
la fidélité, la solidité de Dieu en Christ, qui sera
aussi, en quelque sorte, poussée par un autre mouvement de conversion,
d’approfondissement, de marche, une foi en Christ-chemin mais une
foi qui soit fondée sur la vérité de Dieu, une foi
qui soit en quelque sorte conduite sur le chemin même du Christ
et qui soit, de ce fait, source inépuisable de vie, de ce que l’évangile
de Jean appelle « la vie éternelle » la vie même
de Dieu, la vie du monde, de l’être de Dieu et cette vie :pensez
à la Samaritaine, à ce discours sur le Pain de vie au chapitre
6, pensez à la parabole du berger, la Porte : «Je suis la
porte ».
Pourquoi cela ? Parce qu’en régime semi-nomade, les moutons
sont dehors durant le jour, ils circulent dans la campagne pour trouver
des pâturages et de l’eau et, comme c’est un désert
et que la nuit il y a des méchantes bêtes qui rôdent,
tous les soirs, on rentre les moutons dans l’enclos du village.
Les moutons sont tous mélangés. C’est pourquoi il
est important que chaque mouton reconnaisse la voix de son berger, et
que chaque berger reconnaisse ses moutons à lui or rien ne se ressemble
autant que deux moutons ! même s’il y a des tatouages exprès
ou des peintures sur les portes. Toujours est-il que, voyez l’image
de la porte, il faut la faire jouer dans les deux sens : la porte permet
chaque matin à vos moutons d’aller dehors pour trouver la
nourriture et chaque soir, la porte permet aux moutons de rentrer pour
trouver la sécurité. Vous savez, le chemin, la vérité,
la vie…Les moutons passent le chemin de la porte pour aller trouver
la vie chaque matin et chaque soir, ils repassent le chemin de la porte
pour trouver la stabilité, la sécurité, dans un enclos
bien gardé où les bêtes sauvages ne peuvent pas faire
de dégâts.
En tant qu’il est porte, le Christ est en même temps le chemin,
la vérité, la vie. Il n’est pas seulement l’intermédiaire
vers Dieu ; Il est Dieu lui-même et c’est en tant qu’Il
est Dieu qu’il est à la fois vérité et vie
et qu’il est en même temps, de manière paradoxale,
le chemin qui nous conduit dans la vérité jusqu’à
la vie.
C’est au titre même de sa condition divine, sa condition filiale
qu’il peut énoncer ce « Je suis le chemin, la vérité,
la vie » et ce sera sans doute la dernière question, nous
allons voir que les termes ne sauraient être isolés, séparés.
En grec, il y a « et » , « et », « et »…
peu importe, en français, ce sont trois virgules mais c’est
pareil : ces 3 attributs n’en font qu’un, sont indissociables.
Si pour nous le Christ, en tant qu’il est présence vivante
de Dieu n’était que vérité, que chemin, que
vie, je pense que nous risquerions effectivement de donner une image caricaturale.
On pourrait s’amuser à faire - il y avait une croix
dans votre enquête - un questionnaire. On verrait dans les groupes
ou les personnes pour qui Dieu c’est la Vérité, point
final. Avec tous les dangers du dogmatisme, la fixation dans des contenus
pétrifiés. Ceux pour qui Il n’est que la vie : on
imagine aussi une espèce d’instabilité, dans l’émotif,
le fusionnel, l’instinct, la nature, l’émotion, ça
existe aussi et ceux pour lesquels il ne serait que chemin : on imagine
aussi une espèce d’éternelle recherche, d’ouverture
au monde…
Alors voyez,: il y a trois types de communautés chrétiennes…
je m’amuse un peu ! je ne vise personne ! : ceux pour qui «
Je suis la Vérité, Je suis le chemin, Je suis la vie »
mais c’est la cohérence des trois qui qualifient le «
Je suis » de Jésus. C’est audacieux - je ne sais pas
ce que Jésus disait, on ne le saura jamais - mais en tout cas,
ce qu’il disait après Pâque a été compris
- à l ‘aide de l’Esprit Saint - comme identifiant
Jésus au « je suis » de Dieu. Or, ce « je suis
» de Dieu que Jésus peut revendiquer et assumer totalement,
ce n’est pas un « Je suis » de Dieu en soi mais un «
Je suis » de Dieu pour l’homme. Un « Je suis »
de Dieu pour l’homme et avec l’homme, qui conjugue la fermeté,
la stabilité de la vérité absolue avec un grand «
V », qui conjugue aussi la liberté, la vitalité, la
fraîcheur de la vie avec un grand « V » et qui, en même
temps, ne saurait être ni pétrifiée en vérité
ni diluée en vitalisme mais toujours vécue selon la démarche
d’un chemin de foi, identifiant le disciple au Christ lui-même
dans son chemin vers le Père, probablement même où
il promet de nous donner l’Esprit. Voyez cette structure-là
qui est absolument extraordinaire et dans des mots tellement simples !
Je ne sais pas comment faire… Je suis très malheureux, moi,
ce soir car je suis obligé de faire preuve d’imagination
pour essayer de dire de façon compliquée ce qui est dit
de façon si simple ! « Je suis le chemin, la vérité,
la vie ». Aucun mot n’est compliqué, encore faut-il
vérifier la signification des mots ! Mais ce n’est pas en
soi compliqué ! quand on apprend une langue, on apprend une langue
: les enfants apprennent tous une langue, celle de leurs parents. C’est
normal d’apprendre une langue, voire plusieurs. Or notre langue
chrétienne, il faut l’apprendre. C’est une langue très
simple. C’est nous qui avons projeté des choses très
compliquées sur ces mots. Alors il faut remonter à une source
des mots plus simples que ce que nous mettons dans notre culture sous
les mots et cette simplicité, cette vérité, ce chemin,
peuvent être en quelque sorte dits de Dieu lui-même dans cette
souveraine puissance qui le fait s’engager jusqu’au bout avec
l’homme et pour l’homme. Cet engagement déjà
manifesté à Moïse au Buisson ardent avec la promesse
de libérer les Hébreux d’Egypte s’accomplissant
totalement et pleinement dans l’être du Christ.
CF : La dernière question, j’ai l’impression que ce
n’est pas la peine de la poser ! Elle concernait justement l’articulation
entre ces trois mots. Quelle cohérence y a t il entre eux ? je
crois que vous y avez répondu… Cette question me tracassait…
Il y avait dans ces 3 mots, pour moi, l’évocation d’un
aspect et d’un mouvement trinitaire …
YMB : Votre question sur la Trinité m’intéresse.
Je vais d’abord vous faire une confidence : quand j’étais
étudiant à l’Institut Catholique, déjà
très sensibilisé à la Bible et aux Pères de
l’Eglise, j’ai « validé », comme l’on
dit, l’unité de valeur sur la théologie trinitaire
en faisant un devoir « Je suis le chemin, la vérité,
la vie » : pour une lecture trinitaire de Jean 14-6 ». C’est
curieux ! Alors, avec le recul, c’était heureusement avec
un professeur, suffisamment libre, original et chercheur pour accepter
quelque chose qui n’était pas très rigoureux. mais
je vais vous dire comment maintenant je réponds au problème.
De fait il ne faut pas vouloir faire dire à l’Ecriture le
dogme dans sa structure qui mettra plusieurs siècles à se
penser. L’évangile de Jean ne formule pas la théologie
trinitaire en parlant d’une nature et de trois personnes, en disant
que le Fils est consubstantiel au Père. Ce n’est pas dans
l’évangile de Jean et là, il faut être clair,
c’est Jésus qui dit : « Je suis ». C’est
lui, le Christ, le Fils de Dieu devenu Homme, le Verbe incarné
qui, en tant qu’il assume l’être même de Dieu,
peut être dit chemin, vérité, vie. C’est le
Christ qui est chemin, vérité, vie mais dans la mesure où
le Christ peut être, peut s’identifier au « Je suis
» de Dieu, il ouvre en quelque sorte la fenêtre, la porte
sur la confession d’un dieu qui n’est l’Unique parce
que, d’abord, il est Père, Fils et Esprit.
Et j’avais effectivement dans mon devoir fait toute une enquête
sur l’Ancien Testament pour montrer que la Vérité
était effectivement le mot-clé pour parler de Dieu, du Père.
Que la Vie était le mot-clé pour parler de l’Esprit,
ne serait-ce que, depuis la création du monde : « l’esprit
planait sur les eaux… » et que le Chemin finalement pouvait
être une façon pour désigner le Fils en tant qu’il
est, par le mystère de l’incarnation, celui qui nous apprend
à dire : « Dieu Père », en étant notre
frère et qui nous ouvre… et qui ne fait pas que nous ouvrir…
qui est le Chemin.
Donc, vous voyez, premièrement au sens propre, l’énoncé
n’est pas trinitaire, il est christologique mais dans la mesure
où l’énoncé christologique revient d’une
part à reconnaître à Jésus lui-même la
pleine qualité de Dieu par le « Je suis » d’Exode
3-14 et que cette pleine qualité de Dieu assumée par Jésus
se décline sous le mode de trois attributs sans vouloir, comme
je l’avais fait naïvement, identifier trop vite les trois prédicats
des trois personnes divines. Je crois qu’il y a effectivement -
et là c’était votre intuition géniale ! -
il y a effectivement quelque chose de trinitaire dans le fait même
de faire dire à Jésus « Je suis » décliné
sous le mode ternaire : le Chemin, la Vérité, la Vie et
je conclurai par deux affirmations, deux exemples.
Premier exemple :
Quand je baptise, je dis dans la foi de l’Eglise : « Je te
baptise au nom du Père, du Fils et de l’Esprit ». Le
baptisé est plongé et introduit dans la vie du Dieu Père,
Fils et Esprit mais il n’est baptisé au nom du Père,
du Fils et de l’Esprit qu’en étant plongé dans
le mystère pascal, de la mort et résurrection de Jésus.
C’est un peu la même structure. C’est le plongeon dans
la mort et la résurrection de Jésus qui introduit dans la
vie trinitaire de Dieu Père, Fils et Esprit, de même que
le « Je suis » christologique de Saint Jean nous introduit
dans la vie trinitaire de Dieu Père, Fils et Esprit et la déclinaison
ternaire du « Je suis » christologique évidemment consonne
avec la confession trinitaire du Dieu chrétien.
Deuxième exemple au moins en milieu catholique - et j’y
tiens beaucoup pour ma part - : c’est le signe de croix car quand
je fais le signe de croix, je fais le signe de la croix de Jésus,
mystère de mort et résurrection de Jésus et traçant
le signe de croix, je dis : « Au nom du Père, du Fils et
du Saint Esprit ».
L’assemblée du dimanche, l’assemblée chrétienne,
commence par le signe de croix c’est-à-dire que c’est
en confessant le mystère pascal de la mort et résurrection
de Jésus - signe de la croix - que j’entre, que
nous entrons, que la communauté entre en quelque sorte dans l’espace
et le temps liturgiques comme expérience particulièrement
forte d’une vie trinitaire, d’une participation à la
vie trinitaire d’une vie « au nom de » c'est-à-dire
« dans l’être du Père, du Fils et de l’Esprit
».
Donc je crois effectivement que, premièrement, l’énoncé
est un énoncé christologique ; deuxièmement, cet
énoncé christologique par « Je suis » identifie
Jésus au Dieu de la tradition biblique, le Dieu révélé
à Moïse, Dieu inconnaissable et en même temps Dieu infiniment
proche et secourable, Dieu inaccessible en même temps que Dieu engagé
aux côtés de son peuple, fidèle pour donner vie à
son peuple et lui ouvrir le chemin de la Terre Promise, et ce faisant,
le « Je suis » christologique a effectivement en quelque sorte
valeur de désignation au second plan de l’être même
de Dieu qui nous est révélé dans la communion, dans
le nom, dans la vie partagée du Père, du Fils et de l’Esprit
.
C’est très important, pour le signe de croix notamment, que
nous ayons bien conscience que nous confessons le mystère pascal
du Christ mort et ressuscité dans le signe de la croix et que,
confessant le mystère pascal, nous entrons en quelque sorte, dans
la vie trinitaire Père, Fils et Esprit. Ce que réalise évidemment
à la perfection le sacrement du baptême.
La difficulté pour la catéchèse et la préparation
c’est que c’est à la fois un baptême trinitaire
et en même temps un baptême en Christ, dans la mort et la
résurrection du Christ. De même que le « Je suis le
chemin, la vérité, la vie » du Christ peut ouvrir
la persepective d’une vie trinitaire, le « Je suis »
de Dieu n’est jamais autre chose que la communion du Père,
du Fils et de l’Esprit. Sans vouloir répartir les trois attributs,
Père, Fils et Esprit, il est vrai que la vérité,
la fidélité, la stabilité, la permanence, la miséricorde
sont quand même bien la figure du Père et c’est la
vie, l’esprit, et finalement le chemin, celui qui vient vers nous
pour nous conduire vers Dieu : le Fils.
On peut jouer là-dessus mais attention, prudemment ! Il ne s’agit
pas de dire… Voilà, vous avez eu une bonne intuition. Je
ne vous l’avais pas dit, l’autre jour, que j’avais eu
dans ma folle jeunesse la même intuition et qu’après,
en y réfléchissant, je me suis dit : « le professeur
était quand même complaisant, étant spécialisé
en exégèse, c’était quand même pas très
rigoureux… ». mais oui !... mais je me suis aussi spécialisé
en patristique et mes deux spécialités jouent constamment
l’une pour l’autre et le bibliste dit : « attention,
lisons le texte ! » mais le patrologue dit : « il y a plusieurs
niveaux de lecture » et tout se renvoie l’un à l’autre
et se joue constamment sous cette double casquette…
Le signe de croix
Je vous ai fait mon petit couplet sur le signe de croix car je suis très
habité par mon travail œcuménique et j’essaie
de comprendre ce qui peut nous séparer quelquefois alors que nous
avons tant de raisons d’être unis.
J’essaie de comprendre : si nous, les catholiques, nous avons gardé
le signe de croix, ce n’est pas pour reprocher aux protestants de
l’avoir perdu mais il faut tout de même essayer de savoir
pourquoi on l’a gardé. C’est peut-être la question
œcuménique qui fait que je réfléchis aussi sur
ce signe de croix et qui me paraît tellement importante… Essayer
de savoir pourquoi !.
Si c’est uniquement pour faire comme les footballeurs avant de tirer
dans le ballon, là je reconnais, je comprends que les protestants
s’en soient débarrassés à une époque.
C’est un grigri, c’est de la superstition. Le signe de croix
vraiment vécu dans l’assemblée ou dans la prière
personnelle comme cette façon de se mettre en présence de
Dieu, dans la vie trinitaire par la confession du mystère pascal,
c’est vraiment quelque chose d’essentiel dans le christianisme
si c’est vécu comme cela. Si c’est une espèce
de geste qu’on fait à toute vitesse en entrant dans les églises,
cela ne signifie pas grand-chose. Voilà je finis en vous conseillant
vraiment de lire ce chapitre…
CF : Passons maintenant aux questions
Vous avez abordé le passage où Jésus est arrêté
par les soldats : Jésus s’avançant leur dit : «
Qui cherchez-vous ? ». Ils lui répondirent : « Jésus
le nazaréen ». Jésus leur dit : « C’est
moi. »
Tout à l’heure j’ai compris qu’avec la question
: « Qui cherchez-vous ? » et la réponse : « le
Nazaréen », on entrait dans un problème d’identité
: « Je suis bien le fils de Joseph, né à Nazareth
» Mais Jésus ne répond-il pas dans une dimension autre
avec ces mots « C’est moi » provoquant le recul et la
chute des gardes venus l’arrêter ? Ce qui me frappe dans l’Evangile
est qu’il n’y a pas de passage important sans qu’il
n’y ait les deux niveaux : le niveau terrestre historique et le
niveau de l’esprit.
YMB
Jésus ce n’est pas une légende, ce n’est pas
un mythe ; c’est dans l’histoire : il y a des lieux, des moments,
des faits et en même temps, tout cela nous est redonné après
Pâques qu’à la lumière de l’événement,
de la foi. Tout cela nous est redonné parce que tout cela nous
dit quelque chose du mystère de Dieu et du mystère de notre
salut. Rappelez-moi : « où Jésus a fait encore beaucoup
d’autres choses » ? Non ! « a fait encore beaucoup d’autres
signes » c’est-à-dire que ce ne sont pas simplement
les faits bruts comme on dit, ce sont les faits interprétés,
les faits en tant qu’ils parlent d’autre chose que d’eux-mêmes.
L’Evangile est un récit de signes, dit St Jean : «
ces signes ont été écrits pour que vous croyiez »
Intervention sur la triple dénomination de « prêtre,
prophète et roi »
YMB : Je ne vais pas vous parler des communautés locales du diocèse
de Poitiers mais tout repose dans notre structure - c’est
plus qu’une structure, c’est vraiment une théologie,
une spiritualité de l’Eglise - tout repose sur la tripartition
« prêtre, prophète et roi » prononcée
au moment du baptême.
Vous savez qu’au moment de l’onction, nous rappelons à
tout nouveau baptisé « tu es maintenant une nouvelle créature,
et tu participes de sa dignité de prêtre, de prophète
et de roi. » Tout baptisé, toute communauté -
il n’y a pas que des individus c’est ça l’intuition
géniale du diocèse auquel j’appartiens - toute
communauté disons paroissiale ou autre est invitée à
vivre comme tout baptisé cette triple qualification de «
prêtre, prophète et roi ».
Prêtre étant davantage ce qui va relever du service de la
prière, prière au sens très large : prière,
liturgie, sacrement.
Prophète : ce qui va relever du service de l’annonce de la
foi, de l’évangélisation, de la catéchèse,
de tout ce qui est formation.
Et puis roi : c’est tout ce qui relève du service des hommes.
Le roi, ce n’est pas la figure du despote, c’est la figure
de celui qui prend en charge la société, la vie sur terre,
le roi qui se fait pasteur et serviteur, c’est donc tout ce qui
relève de la charité, la solidarité, etc. Les trois
figures ? Est ce que c’est directement trinitaire, je ne sais pas.
Mais en tout cas, vous raisonnez bien ! j’aime bien car vous voyez,
autour du baptême il y a aussi cette triple désignation :
« prêtre, prophète et roi ». C’est par
notre participation à l’être du Christ que nous sommes
« prêtre, prophète et roi », ce n’est pas
trinitaire en tant que tel c’est comme « le chemin, la vérité,
la vie », c’est une figure ternaire qui, disant notre identité
de disciples incorporés au Christ, nous introduit aussi dans l’image
de la vie trinitaire
Et Melchisédech ?
YMB :
C’est un autre débat compliqué qui n’est pas
dans le baptême, c’est tout le problème, disons, du
sacerdoce de la nouvelle alliance qui est totalement différent
du régime. C’est le Christ, le seul grand prêtre. Le
seul sacerdoce qui tienne, c’est celui du Christ.
D’une certaine façon tous les baptisés participent
de son sacerdoce dans les ministères ordonnés. D’autres
participent d’autres façons mais dans l’unique sacerdoce
du Christ. On est d’accord.
Alors, pour essayer à l’époque des Pères de
l’Eglise justement de penser à la fois la continuité
et la rupture entre Ancien et Nouveau Testament, ils ont cherché
à dire : « mais le sacerdoce de la Nouvelle Alliance n’est
pas de l’ordre du sacerdoce lévitique qui était lié
à toute une économie du sacré par distinction du
profane avec tous les sacrifices. » Nous sommes dans un tout autre
régime et s’il faut trouver une image dans l’Ancien
Testament c’est les quelques versets sur Melchisedech, ce personnage
mystérieux dont on ne sait pas d’où il vient et où
il va et qui va offrir du pain et du vin dans un geste quasiment déjà
eucharistique.
C’est comme le serpent d’airain : il y a deux ou trois petits
bouts de textes dans le Pentateuque qui paraissent des vieilles, vieilles
traditions… qui ne paraissent pas très cohérentes
avec le reste du Pentateuque. Mais ils ont été conservés
et les chrétiens, eux, vont s’en servir parce que justement,
dans ce système mosaïque où les textes et traditions
d’Israël ont quand même été très
organisés autour de la religion, du culte de Moïse : la loi,
les sacrifices, les grands prêtres, le temple, etc. il y a plein
de petites failles. C’est à dire que l’unification
n’est pas totale, il reste plein de fragments textuels qui disent
autre chose que la loi mosaïque officielle.
Evidemment, les Pères de l’Eglise, les premiers chrétiens
vont avoir un très grand art pour tirer les fils - même
si ce sont des fils minoritaires - et reconstruire en quelque sorte
la cohérence de la théologie chrétienne en s’appuyant
sur des passages de l’Ancien Testament, quelquefois mineurs -
Melchisédech : cela occupe 4 versets ! et le serpent d’airain
n’en occupe pas plus - n’empêche que le serpent
d’airain - déjà dans l’Evangile de Jean
- est la figure du Christ qui est élevé sur la croix.
A la fois élevé sur le gibet d’infamie et élevé
à la droite de Dieu. Cette élévation qui est à
la fois de mort et de résurrection étant source de vie et
de salut pour tous ceux qui se tournent vers Lui…
C’est déjà dans les Evangiles. Ce qui fait que, dès
le 1er siècle, dès les premières générations
d’après Pâques, on a déjà commencé
ce grand travail de relecture de l’Ancien Testament à travers
une lunette qui est celle de la foi en Christ. Et faisant cela, on a conscience
d’être fidèle au Seigneur car le récit d’Emmaüs
l -Luc 24 - le soir de Pâques fait que le Ressuscité
est le premier qui relise l’Ancien Testament à la lumière
de sa propre résurrection.
Et ce faisant, le Ressuscité fait ce que Jésus lui-même
faisait déjà - Luc 24 - Emmaüs renvoie à Luc
4 : la synagogue de Nazareth - où Jésus, dans une homélie,
s’applique à lui-même les figures de l’Ancien
Testament : « Aujourd’hui cette Ecriture s’accomplit
».
Donc les chrétiens ont conscience que le Ressuscité - qui
préside en fait le repas chrétien, le repas du ressuscité
- est celui qui, en quelque sorte même si ça passe
par des ministres chrétiens - est celui qui accomplit la
relecture chrétienne, christologique des Ecritures mais, ce faisant,
les chrétiens ont conscience d’être fidèles
à ce que Jésus lui-même avait commencé de faire
durant son ministère. Ainsi l’homélie de Jésus
à Nazareth en Luc 4 anticipe en quelque sorte la façon dont
le Ressuscité à Emmaüs en Luc 24 va être le premier
interprète des Ecritures « selon » une grille spécifiquement
chrétienne, christologique, pascale. Les chrétiens ne lisent
pas l’Ancien Testament comme leurs frères juifs et cela en
parfaite sérénité : on peut être différent
et s’enrichir d’un dialogue. La différence n’est
pas un péché mais la lecture chrétienne se fait à
partir de la foi en Christ, la lecture juive se fait à partir d’une
autre expérience, qui est proche mais qui est différente.
Intervention de Jacques JOUVIE :
La parole du Seigneur au moment où on vient l’arrêter
: « Qui cherchez-vous ? », est une question que je me pose
souvent ! Dans les synoptiques, à propos de la discussion avec
les Saducéens sur la résurrection, Jésus dit : «
Avant que le monde ne fut, je suis »… L’interprétation
de ce « je suis » par rapport à celui de St Jean est-elle
différente ?
YMB :
C’est chez Saint-Jean !
St Jean dit : « Que cherchez-vous ? ». Il y en a un troisième,
c’est le Ressuscité auprès de Marie de Magdala : «
Qui cherches-tu ? ».
C’est incroyable, tout l’évangile de Jean est guidé
par ce fil rouge. C’est bien le chemin : « Qui cherches-tu
? » et la grande image johannique de la marche : qui marche dans
la lumière, qui marche dans les ténèbres… qui
est d’ailleurs une vieille expression juive la « alara ».
En hébreu, la « alara » veut dire la démarche.
C’est la façon de vivre la fidélité à
la loi dans la vie, le cheminement a-t-on à une époque dans
le catholicisme, à une époque où on cheminait tous.
C’est peut-être un peu ridicule dans le français d’aujourd’hui
mais c’est une très belle image biblique… Cheminement…
ces gens-là avaient l’habitude de se déplacer dans
le désert, lentement sur les chameaux, c’était quelque
chose !... Même s’ils étaient très sédentarisés
au temps de Jésus, ils avaient gardé une nostalgie nomade
ou semi-nomade et c’est vrai qu’on circulait énormément
dans la société.
Et puis il y a l’exil et l’exode, qui sont les deux événements-phare
de l’Ancienne Alliance.
Le retour d’exil : l’évangile de Matthieu commence,
par exemple, en identifiant Jésus au peuple d’Israël
qui remonte d’Egypte en même temps que celui qui part en exil
car dès le début de l’évangile de Matthieu,
au moment de Noël, il y a une référence à la
remontée d’Egypte - alors en plus de la fuite en Egypte,
il va y avoir le retour d’Egypte - et en même temps,
lors du massacre des innocents, il y a une référence avec
Rachel qui pleure ses enfants, etc… une référence
au départ en exil.
Alors tous ces textes sont tissés d’échos et pour
les lire, il faut connaître la langue. Il faudrait pouvoir baigner
là-dedans, reconnaître les échos, faire cette lecture
polyphonique. Ce qui est formidable est que plus on vit avec l’Ecriture,
plus ça parle ! C’est le contraire d’une lecture où
j’enlève tout ce qui me gêne pour retrouver le mot…
eh non ! Au contraire. C’était un petit peu le défaut
des biblistes à une époque, un peu comme les archéologues
qui détruisent tout pour retrouver le sol premier. Quand ils ont
tout détruit, ils sont bien contents : il n’y a plus rien
! La lecture plus moderne qui est aussi celle des Pères de l’Eglise
ne va pas chercher à dégager pour retrouver le noyau dur
mais qui va être plutôt sensible à toutes les interférences,
à tous les niveaux.
Un site archéologique, s’il faut détruire les 15 premiers
niveaux, pour retrouver le niveau 1, c’est un peu dommage d’en
avoir détruit quinze pour en trouver un. Donc il faut trouver un
moyen pour descendre au plus profond en conservant de cette façon
tous les niveaux pour pouvoir continuer à visiter le site dans
ses millénaires d’histoire et pas simplement au début
de sa fondation. A la limite, vous avez une magnifique ville et vous détruisez
tout pour retrouver un hameau préhistorique ; vous avez retrouvé
le sol brut, le sol vierge mais vous avez tout démoli. Donc il
y a une façon de lire les textes qui est d’enlever tout pour
essayer de trouver l’élément minimal et vous avez
une autre lecture qui, au contraire, va essayer de bien identifier tous
les niveaux pour les faire jouer ensemble. Et ça, c’est inépuisable
!
Intervention de la salle
YMB :
« Emet » veut dire la stabilité, la vérité,
la fidélité de Dieu. Le mot «aman » : la foi,
fait aussi partie du radical. Le mot « amen » veut dire justement
« c’est solide, j’y crois ». Il y a toute une
série de mots où le verbe « croire » en hébreu,
l’idée de foi, vont de pair avec l’idée de solidité
et de vérité.
Et là aussi c’est contradictoire avec notre mentalité.
Tout à l’heure à la radio il y avait un discours sur
les croyants et les incroyants et la tentation est toujours de dire :
il y a d’un côté « la vérité »
et de l’autre « la croyance ». Non ! c’est le
contraire ! La vérité, pour les Hébreux, c’est
ce que je crois. Je le crois parce que c’est fiable. Et c’est
fiable parce que Dieu ne saurait me tromper. La preuve est l’Histoire
sainte. C’est la preuve vivante que Dieu n’abandonne jamais
son peuple, que Dieu est fidèle, que Dieu fait alliance, que Dieu
est solide dans ses promesses. Croire, c’est confesser cette solidité
de Dieu, ce n’est pas s’engager à l’aveuglette
en disant : moins il y a de preuves, plus… Non, au contraire c’est
une espèce de connivence entre la foi et la vérité
: je crois parce que c’est vrai et c’est vrai parce que je
crois.
Ce n’est pas la vérité d’un scientifique…
mais là aussi le mot est complètement ratatiné. Il
s’est spécialisé dans un domaine où il fonctionne
justement mais nous n’entendons plus les autres champs de signification
du mot « vérité » : la vérité,
d’un amour, la vérité d’une relation humaine,
la vérité d’un pardon n’est pas de l’ordre
de la vérité scientifique… On a un usage très
réduit des mots… C’est pareil pour tout. Quand il est
question du « corps » dans la Bible : le corps c’est
toute la personne, la présence. Quand Jésus dit dans l’eucharistie
« ceci est mon corps » cela ne veut pas dire que le pain de
l’eucharistie soit composé de molécules d’un
corps humain. C’est beaucoup plus que cela, ce n’est pas moins
! Le corps, c’est toute la présence d’un être
vivant, réellement présent mais d’une réalité
qui est d’un autre ordre que la simple physique. C’est cela
la grande question qui me hante un peu, cette question de l’alphabétisation,
car les mots de la Bible sont les mots de la foi.
Intervention de la salle : ‘
Si je dis : « J’en ai fait l’expérience »
peut-on dire que c’est vrai » ?
YMB :. S’il n’y a pas d’expérience de Dieu,
il n’y a pas de foi. Si je parle d’un amour, c’est que
j’en ai fait l’expérience. Quelqu’un qui m’aime,
je sais qu’il m’aime vraiment, j’en ai fait l’expérience.
Ce n’est pas dans un théorème… et encore le
mot « expérience » ce n’est pas au sens de l’expérience
scientifique c’est encore autre chose.
CF : Que de fois à la pharmacie, m’a-t-on posé la
question : « est-ce que vous croyez à l’homéopathe
? ». C’était la question typique ! Et ma réponse
: il y a des choses en lesquelles je crois et d’autres dans lesquelles
je ne crois pas mais dans ce domaine-là je vais simplement vous
dire mon expérience. Voilà ce qui s’est passé,
voilà où ça marche, voilà où ça
ne marche pas mais je ne peux pas vous en dire plus. Mais ce n’est
pas de l’ordre d’une adhésion à quelque chose
de solide, de l’ordre de la foi…
YMB répondant à une question :
Est-ce que c’est une expérience personnelle, c’est
ce que je me demande de plus en pus… Uniquement personnelle…
A une époque dans la célébration des sacrements,
on a énormément mis l’accent sur l’authenticité
de la démarche des braves gens qui se mariaient, qui faisaient
baptiser un enfant. Or je me dis de plus en plus que ce n’est pas
d’abord la foi de Madame et Monsieur X, c’est la foi de l’Eglise
à laquelle Mr et Mme X sont invités à s’associer
autant qu’ils peuvent sinon, évidement, ce n’est pas
possible… mais enfin, c’est la foi de l’Eglise, une
foi qui ne naît pas d’abord de mon expérience individuelle
mais d’une tradition reçue, d’une expérience
transmise, attestée. C’est la foi qui se reçoit d’un
témoignage auquel j’essaie d’adhérer en sachant
que la foi… on ne célèbre pas seulement la foi des
gens qui sont là, on célèbre la foi dans cette grande
histoire.
C’est pour cela qu’on lit la Bible dans les Sacrements alors
qu’on pourrait lire un poème d’amou. C’est uniquement
la foi du couple. Mais si on lit la Bible c’est pour toujours rappeler
que cette histoire unique, comme chaque histoire humaine, participe d’une
histoire plus large et plus grande qui est celle du don de Dieu aux hommes,
celle de l’Alliance entre Dieu et l’Humanité. Cette
alliance, bien sûr, n’est pas limitée aux auteurs de
la Bible mais c’est dans ce Livre-là que les chrétiens
reconnaissent en quelque sorte l’attestation de cette histoire d’alliance
infiniment plus large que les textes de la Bible, mais que nous ne savons
pas désigner sans passer par ce Livre, en sachant que chacun de
nous est invité à entrer dans cette histoire. Cette histoire
le précède et le dépassera.
On a eu à une époque une réduction très individualiste
de la foi, moi aussi j’ai connu l’époque où
j’étais jeune prêtre où je célébrais
des baptêmes avec des textes profanes. Je ne suis pas « contre
» qu’il y ait des textes profanes mais maintenant je sais
que je n’en ai pas le droit et, en conscience, je ne célébrerai
pas de sacrement sans texte biblique. Des textes bibliques, il en faut
un, même s’il est moins proche de la sensibilité des
gens qu’un poète mais ce texte biblique a pour effet de signifier
que le sacrement qui est ici célébré n’est
pas seulement le sacrement de sanctification des gens qui sont là
mais aussi la confession selon laquelle dans ces vies humaines qui sont
là se reconnaît quelque chose de cette grande aventure qui
est celle de Dieu et des hommes dans l’alliance culminant dans l’être
même de Jésus notre frère. Même si on ne comprend
pas tout, cela signifie cette dimension-là. Est-ce que vous l’annoncez
avant pourquoi vous lisez ce texte ? Avec des mots simples, à un
baptême c’est important de faire comprendre que le petit bébé
est unique « le fils bien aimé, mon unique, mon amour »...
(fin de cassette)
Question : Je suis amené souvent à lire ce texte de Jn
14, de 1 à 6, à l’occasion de célébrations,
avant une incinération pour des gens qui souvent ne fréquentent
plus l’église depuis très, très longtemps…
A votre avis, serait-il possible un jour de re-writer comme on dit, de
re-traduire autrement ?
YMB :
Réécrire le texte… ? déjà il est traduit
!
Toute traduction est déjà une interprétation . Une
des choses caractéristiques du Christianisme c’est que depuis
l’origine on n’a jamais cessé de traduire, re-traduire
et d’expliquer. Alors on n’a pas une conception fondamentaliste
du texte, d’un texte figé. Cela dit, ce n’est pas tant
de réécrire le texte que de le faire vivre, de l’expliquer,
le faire comprendre, etc…
Le risque des traductions qui se veulent accommodantes,… elles sont
dangereuses. Sous prétexte, par exemple, que la chair est un mot
piégé qu’il faut expliquer en long et en large parce
qu’en français cela ne veut rien dire de ce que veut dire
la Bible. Mais quand la traduction en français courant traduit
« chair » par « nature » - c’est toute la
vision négative de la notion de chair -qui n’est pas la chair..
- ça colle avec la nature humaine… on projette un pessimisme
radical dans notre évangile sous prétexte de traduire clairement,
c’est grave comme enjeu.
La chair chez St Paul, c’est l’être humain tout entier
en tant qu’il lui arrive de se fermer au don de Dieu, de cultiver
une autosuffisance qui engendre violence, débauche, injustice,
tous les péchés de la terre. Y compris donner un coup de
poing à mon voisin c’est un péché de chair.
Ou avoir une pensée méchante, c’est la chair qui parle.
Chair, c’est très large. Par contre l’Esprit : donner
une poignée de main fraternelle, c’est un geste d’esprit.
Un coup de poing méchant, c’est un geste de chair. Voyez,
ce n’est pas une question de corps et âme. C’est une
question de l’être humain ouvert au don de Dieu et aux autres
ou replié sur lui-même et fermé aux autres.
Mais si vous traduisez « chair » par « nature »
pour que ça ait l’air d’être du français
courant, c’est dramatique parce que, comme la chair c’est
une façon négative de la nature humaine, dans la traduction
en français courant tout est négatif alors. C’est
bien beau de retraduire, je ne pense pas qu’il s’agisse tant
de retraduire mais d’essayer d’expliquer, d’alphabétiser.
Bien sûr on a tout le problème des gens qui passent une fois
de temps en temps, on fait ce qu’on peut… mais au moins à
l’intérieur d’une communauté, apprendre peu
à peu à parler la langue, sachant ce que veut dire la langue,
c’est ça la théologie, pas autre chose.
Intervention : … vous nous expliquez qu’ il faut une telle
culture…
YMB :
ce n’est pas une culture compliquée.
Tout groupe humain a sa langue propre et les hommes d’aujourd’hui
sont tous polyglottes. Si vous êtes médecin, vous parlez
une langue qui est nécessaire à la justesse de votre art
où les mots n’ont pas le même sens que dans le journal
dans la vie courante. Alors il y a des langues qui s’apprennent
dans des études, il y a des langues qu’on apprend à
la maison : la langue maternelle. Des gens qui vivent dans un milieu sportif,
ils ont un jargon à eux qu’ils ont appris sur le tard…
Il y a des langues qu’il faut apprendre à l’école
car elles sont très savantes. Il y en a d’autres qui s’apprennent
en vivant.
Alors, le problème pour nos communautés chrétiennes,
c’est peut-être qu’elles ne sont pas suffisamment vivantes
- la transmission ne se fait pas, elle est quasi-impossible aujourd’hui
- donc on peut rêver d’une société où
on apprendrait les mots de la foi en communauté comme on apprend
les mots de la vie ailleurs.
CF :
Notre présence de ce soir est issue de notre réflexion de
l’an dernier. Nous nous étions posé la question :
« comment peut-on repenser d’abord, relire et revoir notre
foi. C’est pourquoi nous avons fait cette enquête où
l’on nous demandait de dire en peu de mots notre foi. Nous avons
été très surpris d’avoir autant de réponses
en un, deux ou trois mots. C’est en les classant que j’ai
attrapé ces 3 mots : chemin - vérité -
vie. C’est en eux que j’ai senti ce mouvement « trinitaire
», cette circulation permanente où les mots s’interpénètrent,
circulent entre eux sans se détruire. Ils se renforcent. En se
valorisant.
Oui, on a décidé à St Merri depuis l’an dernier
de faire cette alphabétisation.
YMB :
Par rapport à toutes ces questions, je veux être très
humble et très optimiste. Ce n’est pas nous qui convertirons
les gens, c’est l’Esprit-Saint. Il faut bien faire son boulot,
avec les moyens qu’on a et puis voilà ! Pourquoi toujours
vouloir se torturer ? C’est bien de se poser des questions et en
même temps, on fait ce qu’on peut et si on est vrai dans ce
qu’on dit, dans la façon dont on le dit, je pense que le
Seigneur fera avancer les choses. Il faut avoir une exigence de formation.
Si vraiment la foi est vitale pour nous, ça demande une formation
comme n’importe quelle autre activité. On a tous dû
apprendre à faire de la bicyclette. Toute la vie, on est en formation
permanente. Cela dit, il ne faut pas non plus se culpabiliser. On est
ce qu’on est et ce n’est pas parce qu’on est très
savant qu’on est meilleur témoin. Attention ! Autant, en
tant que professeur, il est de mon devoir de vous dire « attention
! il y va du sérieux de la foi que les chrétiens engagés
se donnent les moyens d’une formation permanente tout au long de
leur vie, dans un monde où le langage est tellement éclaté.
Cela dit, chacun veut ce qu’il peut, là où il est
et la vérité, justement, peut être vie et chemin dans
la mesure où chacun est vrai dans ce qu’il fait, à
la fois humble et confiant.
Question :
Je ne savais pas que les Protestants ne font pas de signe de croix. Qu’est
ce qui les gêne ?
YMB : Quand la Réforme s’est affirmée, le signe de
croix faisait partie des gestes que l’Eglise avait multipliés
à l’infini au point d’en faire des gestes magiques
et les protestants ont suffisamment de respect pour la croix du Christ
pour ne pas supporter que cette croix du Christ serve de porte-bonheur.
La protestation protestante nous invite, nous catholiques, à être
sérieux avec le signe de croix. On ne fait pas son signe de croix
par superstition. C’est quelque chose de profond. Il faut bien reconnaître
que les guérisseurs l’ont utilisé. Maintenant on voit
à la TV des signes de croix dans les sports, signes qui sont des
grigris, des gestes magiques qui n’ont rien à voir avec la
profession de foi trinitaire au coeur du mystère pascal de Jésus.
Remerciements au Père Yves-Marie Blanchard
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