GROUPE CARÊME 2004

 

Veilleurs de Paix

 

Pour une culture de la Paix et de la confiance

afin de maîtriser ensemble nos peurs et nos violences

 

 

Combattre  la violence collective par une réaction de contre violence est un engrenage qui mène à des conflits de plus en plus graves : le plus fort impose sa logique.

 

Trouver alors les racines de la violence afin de pouvoir canaliser cette force destructrice et la transformer en force créatrice

Trouver en nous ces racines, apprendre à  maîtriser notre propre violence et partager cette expérience avec d’autres, c’est  le message de Gandhi, de Martin Luther King. N’est ce pas le message du Christ ?

 

C’est la démarche que nous vous proposons en ce temps de Carême. Elle pourrait se traduire par une participation de Saint Merri à la manifestation organisée par l’Unesco dans le cadre de la Décennie de la Non violence les 5 et 6 juin 2004 à Saint Denis

 

 

 

 

1ère Réunion

 

LA VIOLENCE INDIVIDUELLE

COMMENT REFRENER NOTRE PROPRE VIOLENCE ?

 

« Si nous pouvons observer la violence dans la société mais aussi en nous, alors peut être pourrons nous aller au-delà »   Khrishnamurti.

 

Sommes nous capables de repérer en nous la violence fondamentale ? Savons nous reconnaître la violence négative : haine, fureur, jalousie, vengeance, envie, perversité, sadisme ? Savons nous aussi reconnaître la violence positive, la pulsion de vie qui nous anime : capacité d’affirmation de soi, de mouvement,  d’action vers le monde de réalisation créatrice ?

La violence n’est elle pas aussi la traduction d’un élan vital ?

Comment gérer la violence de destruction  qui est en nous pour la transformer en pulsion de vie ?

 

Texte 1 : LES RACINES DE LA VIOLENCE Réflexions d’un neurobiologiste par Pierre Karli

 

Je refuse de réduire l’homme à sa nature et à son fonctionnement proprement biologiques, comme à un ensemble de déterminations imposées par un environnement socio économique. Dans le domaine qui doit être abordé ici, il n’y a ni déterminisme étroit d’ordre biologique ni déterminisme étroit d’ordre historico sociologique. Les violences font partie intégrante d’une société infiniment complexe, et il faut éviter de les aborder par l’une simplement des multiples facettes de cette réalité. S’agissant des violences humaines  toute explication simple n’explique rien et toute solution simple ne résout rien.

 

Il est clair que les violences sévissent partout, dans tous les milieux sociaux. En ma qualité de biologiste et de médecin ma réflexion s’oriente moins vers la sociologie des phénomènes de violence que vers le sujet  qui est l’agent de ces violences. Mais il s’agit bien évidemment d’appréhender ce sujet dans sa vie sociale dans ses relations et ses interactions avec les autres.

Quels sont alors les facteurs liés à la personnalité du sujet, à sa socialisation et à sa vie concrète dans un contexte socio culturel donné qui contribuent à augmenter ou à réduire la probabilité que face à une situation ou un évènement donné il utilise un comportement violent. Cette probabilité est très largement déterminée par les aspirations, les valeurs les croyances et les modèles qui sont le moteur de la relation du sujet au monde à l’autre et à lui-même.

Le développement inquiétant du nombre et de la gravité des « phénomènes de violence » est dû autant au développement des  facteurs qui facilitent leur apparition qu’à l’affaiblissement des « facteurs de protection » ….à la double influence des incitations venant du monde extérieur et du travail que chacun fait sur lui-même dans l’espace moral intérieur qu’il s’est ou non constitué……

 

C’est par le débat intérieur que, face aux situations plus ou moins contraignantes auxquelles il sera toujours confronté, le sujet peut exercer sa faculté d’autodétermination, son autonomie, sa liberté. Personne n’est victime d’un destin inéluctable mais peut développer ses potentialités et valoriser ses atouts. C’est cela qui le rendra plus libre et plus responsable de lui même

 

Texte 2 « Détruire quelqu’un avec des mots, des regards… » LE HARCELEMENT MORAL par Marie France Hirigoyen

 

Un mot peut tuer. Pour déstabiliser et détruire, les armes de la malveillance de la manipulation et de la persécution sont innombrables. La perversité ordinaire d’un conjoint, d’un parent, d’un supérieur peut briser un couple, défaire une vie, ruiner une carrière professionnelle. La loi du plus fort règne le plus souvent dans la famille, dans l’entreprise, la société. L’agresseur mène patiemment son œuvre paralysante et meurtrière. Sa victime se laisse peu à peu enfermer dans le piège prévu pour son supplice.

Comment comprendre, analyser, vaincre le harcèlement psychologique ? Quelles solutions quelles parades y opposer ?

 

Texte 3  L’HOMME VIOLENT C’EST TOI  Samuel 2- 12

 

Yahvé envoya auprès de David, Natan. Celui-ci entra chez lui et lui dit :

« Il y avait deux hommes dans la même ville,

L’un riche et l’autre pauvre.

Le riche avait petit et  gros bétail

En très grande abondance.

Le pauvre n’avait rien si ce n’est qu’une agnelle,

Une seule petite qu’il avait achetée.

Il la nourrissait et elle grandissait avec lui en même temps que ses enfants

Mangeant de sa pitance, buvant dans sa coupe,

Dormant dans son sein : elle était pour lui comme une fille.

Un homme se présenta chez l’homme riche

Qui n’eut pas le cœur de prendre sur son petit ou gros bétail

De quoi servir au voyageur arrivé chez lui.

Il prit l’agnelle de l’homme pauvre

Et l’apprêta pour l’homme arrivé chez lui »

 

David entra en grande colère contre cet homme et dit à Natan : « Par la vie de Yahvé, il mérite la mort l’homme qui a fait cela. Pour l’agnelle il donnera compensation au quadruple, pour avoir commis cette action et n’avoir pas eu de pitié »

 

Natan dit alors à David :

« Cet homme c’est toi »

 

Ainsi parle Yahvé Dieu d’Israël

 

Quel éclairage le message du Christ donne-t-il sur ce processus de violence ? Quelle tranfiguration peut-elle s’opérer ?

(Cf Paul Lettre aux Ephésiens chapitre 2 Versets 11-22 et le commentaire qu’en fait Nicolas)

 

 

2ème Réunion

 

VIOLENCE COLLECTIVE

COMMENT PROMOUVOIR DES ACTIONS DE PAIX ?

 

Nous avons approché l’origine de la violence en chacun de nous. Tentons maintenant de mieux comprendre la violence à l’œuvre dans la société.

Les valeurs démocratiques de nos sociétés occidentales préservent-elles des dérapages ?

N’y a-t-il pas une violence larvée, parfois invisible à l’œuvre dans la collectivité ?

Violence à l’école, violence dans les banlieues : entendons-nous les messages que nous envoient ces manifestations ?

En quoi nous sentons-nous responsables ?

Mais après le constat cette deuxième séance se veut surtout constructive : Comment promouvoir ensemble des cultures de paix ?

 

Texte 1 « AU CŒUR DE L’HOMME ET DE LA SOCIETE LA VIOLENCE » par René Girard

 

René Girard construit tout son raisonnement sur la notion de « mimétisme » propre à tous les êtres vivants,  hommes et animaux. Mais alors que chez les animaux la régulation se fait par la soumission du faible au fort, chez l’homme la rivalité est sans fin ; elle se traduit par le désir de vengeance.

 

Pour réguler ce désir et pouvoir vivre en société il faut alors trouver un ennemi commun qui va polariser contre lui l’ensemble des désirs de vengeance et permettre ainsi pour les autres la réconciliation. C’est le « Bouc émissaire »

 

René Girard parle alors de la crucifixion en tant que phénomène de mimétisme violent : A preuve la réaction de Pierre.

« Dès que Pierre se trouve dans une foule hostile à Jésus dans la cour du grand prêtre il devient lui aussi hostile. Pourtant il est le meilleur des disciples. Personne n’est capable de résister au mimétisme meurtrier de la foule. »

A preuve la réaction de Pilate.

 

Jésus est donc un « bouc émissaire ». Le christianisme s’enracine donc dans le mythe du Bouc émissaire mais en même temps il le dévoile

 

« La différence essentielle de Jésus c’est que la passion vous présente la victime non pas comme coupable mais comme innocente : la victime est un bouc émissaire innocent »

 

Cela anéantit le mythe.

« La suppression du sacrifice et l’offre du Royaume de Dieu dans les Evangiles sont inséparables l’une de l’autre. Ce n’est pas une offre conditionnelle, optionnelle mais une nécessité urgente.

Le religieux est là pour nous protéger de la violence »

 

 

Texte 2 : LA COLERE DE DIEU, APPEL A LA CONVERSION  Marc 11. 15-19

 

Ils arrivent à Jérusalem. Etant entré dans le Temple, il se mit à chasser les vendeurs et les acheteurs qui s’y trouvaient : il culbuta les tables des changeurs et les sièges des marchands de colombes, et il ne laissait personne transporter d’objet à travers le Temple. Et il les enseignait en leur disant :

« N’est il pas écrit : Ma maison sera appelée une maison de prière pour toutes les nations. Mais vous, vous en avez fait un repaire de brigands ».

Cela vint aux oreilles des grands prêtres et des scribes et ils cherchaient comment le faire périr ; car ils craignaient parce que tout le peuple était ravi de son enseignement. Le soir venu, il s’en allait hors de la ville.

 

Texte 3  MEMOIRE POUR LA PAIX par Emile Shoufani , curé arabe palestinien de Nazareth,

 

J’appelle les hommes et les femmes de bonne volonté, quelles que soient leurs origines et leurs croyances à mettre tout en œuvre pour que le dialogue et la compréhension mutuelle deviennent les maîtres-mots des relations entre les peuples et les cultures.

 

J’appelle mes frères de cœur juifs et mes frères de sang arabes à mettre momentanément de côté leurs contentieux, pour essayer ensemble de renouer une relation vraiment humaine. Il ne s’agit pas de trahir en quelque sorte la cause des siens, il ne s’agit pas non plus de faire semblant d’oublier tout ce qui nous sépare. Il s’agit, pour éclaircir enfin l’horizon, de mettre résolument à distance nos litiges, aussi graves soient ils, d’empêcher les urgences du moment de nous aveugler, d’arrêter le cycle infernal de la vengeance. Seule une telle expérience peut donner à la confiance une chance de renaître.

 

J’appelle mes frères arabes à prendre pleinement conscience d’un phénomène nouveau et essentiel la capacité de dialogue de leurs interlocuteurs est totalement paralysée, depuis notamment deux ans, par une grande vague de terreur historique qui remonte du plus profond de la mémoire juive. Le peuple qui semble aujourd’hui le plus fort est paradoxalement, de par son expérience séculaire, de plus en plus convaincu qu’il a à craindre pour son existence même. Et cette conviction, quoi que nous en pensions, est une réalité incontournable.

La non responsabilité des Arabes dans l’évènement de la Shoah est certes une évidence pour tous. Nous le savons : l’idée même d’un tel génocide est étrangère au monde arabe et musulman, dont les traditions d’hospitalité et de générosité ont beaucoup contribué à l’émergence de l’humanisme contemporain. Mais nous savons aussi : la Shoah interpelle et concerne tous les peuples de la planète, y compris ceux qui n’y ont pas été mêlés d’aucun façon. Tout humain ne peut que se sentir bouleversé en profondeur par ce crime majeur contre l’ensemble de l’humanité, contre l’idée même d’humanité.

J’appelle mes frères arabes à se joindre à moi pour accomplir ensemble un geste fort, gratuit et résolument audacieux. Sur le lieu qui incarne l’atrocité du génocide, à Auschwitz-Birkenau, nous ferons acte de fraternité envers les millions de victimes, nous proclamerons notre solidarité avec leurs fils et leurs filles juifs, nous témoignerons de notre empathie pour cette souffrance indescriptible. Cet acte de mémoire signifiera notre refus radical d’une telle inhumanité, il témoignera de notre capacité à comprendre la blessure de l’autre.

 

J’appelle mes frères juifs à se joindre à cette marche, qui sera précédée d’une démarche de rencontre et de dialogue. Je les invite à partager avec leurs frères arabes leur expérience personnelle et leur connaissance de la Shoah. Il est grand temps de commencer ensemble ce travail de partage de la mémoire, sans lequel aucun partage de l’avenir, aucune compréhension mutuelle ne pourront voir le jour.

J’appelle mes frères juifs à comprendre que pour l’immense majorité du monde arabe et musulman, le conflit qui nous déchire n’est absolument pas d’ordre religieux, ni encore moins racial. Les Arabes ne sont pas les continuateurs de ceux qui voulurent jadis faire disparaître les Juifs en tant que Juifs. Héritiers comme eux de la foi d’Abraham, ils sont comme eux porteurs de valeurs lumineuses.

 

J’appelle mes frères juifs et mes frères arabes à tout faire, avant, pendant, et après cette démarche commune, pour lui donner son sens plein, celui d’un premier pas en vue de construire une confiance mutuelle, pour que naisse un dialogue authentique dégagé de toutes les suspicions accumulées au cours des dernières générations. Aucun d’entre nous n’ajoutera à ce geste symbolique des commentaires tendancieux qui en atténueraient le sens ou la portée. Ce détour par les abîmes les plus sombres de la mémoire de l’humanité ne peut relativiser en aucune façon les souffrances d’autres populations, en d’autres lieux et en d’autres temps. Il ne peut au contraire que nous renvoyer chacun à nos responsabilités du présent et à notre vocation d’êtres humains en marche vers un « vivre ensemble »

 

J’appelle tous les hommes et les femmes de bonne volonté, qu’ils soient juifs, chrétiens ou musulmans, qu’ils appartiennent à d’autres religions ou à aucune, puisqu’il ne s’agit pas là d’un rassemblement interreligieux, mais d’une démarche de personnes humaines en tant que telles- à supporter de toutes leurs forces ce projet. Qu’il puisse contribuer à nous guérir de tant de traumatisme, qu’il puisse nous ouvrir une brèche vers un autre avenir et préparer l’aurore de la paix.

 

 La dimension spirituelle peut être abordée avec la parabole de la femme adultère (Jean.  8   1-12)

Que fait Jésus pour entraîner les hommes au silence et à la réflexion, pour toucher en plein cœur ces hommes de violence qui, la pierre à la main, se retirent un à un ?


Violence et paix

Nicolas Guérin

 

 

 

J’aimerais prendre la question de la violence du côté de la sortie : première sortie de soi, retournement en soi, nouvelle sortie de soi.

 

La première sortie de soi est spontanée, affective, passionnelle. Elle est de l’ordre de l’amour ou de la haine comme sentiments. Couleurs possibles et opposées : elle  est joviale ou agressive, souriante ou boudeuse, ouverte ou fermée. Un peu comme l’enfant dont les réactions spontanées sont ambivalentes et changeantes, et qui tantôt nous émeut tantôt nous interroge, souvent sollicite notre accompagnement ou notre intervention. Mais au fond, est ce que l’adulte n’agit pas aussi de façon spontanée ?

Cependant le chemin de la croissance humaine passe par le retournement en soi. Il y a deux dimensions bien distinctes et à la fois très liées qui sont comme deux aspects de la vie intérieure. La première est la prise en compte positive de l’autre, de l’Autre, au-dedans de soi, et se fait dans les actes de réflexion, méditation, contemplation. La deuxième est une traversée de deux difficultés qui n’en sont peut être qu’une à double face : l’envie de tuer, la peur d’être tué.

Peut être la peur d’être tué est antérieure, voire originelle : si je suis faible, a fortiori si je me reconnais fautif, pêcheur, je m’expose aux autres, à leur jugement, à leur condamnation. Ils ne vont pas me rater, ils ne vont pas me pardonner, c’est sûr, ils vont m’exécuter. Bien sûr, je crois que Dieu seul est mon juge, lui seul me connaît car il m’aime. Pourtant le risque est là. La prière de l’Eglise, le chant des psaumes témoigne et assume ce risque devant Dieu. Après tout, c’est l’aventure de la vie, un jeu mortel somme toute.

L’envie de tuer n’est pas moins grande. Parce que l’autre me menace parce qu’il me fait peur. Il est trop différent et pourtant il a l’air d’être humain, je n’assume pas cette contradiction extravagante. Ou alors il est trop proche, et alors il veut sans doute prendre ma place, et donc ma mort. Mieux vaut lui que moi. Je préfère l’achever avant qu’il soit trop tard, au moins le réduire, en faire le maillon faible.

La vigilance consiste à ce que ce retournement en soi n’aboutisse ni à un retournement en rond pathologique ou morbide, ni à un meurtre. C’est l’ouverture à la parole de l’autre, à l’action de l’Esprit, qui va déclencher une nouvelle sortie de soi, pour la vie, une Pâque.

 

Jésus est le Fils de l’homme. Il a sans doute connu   les sentiments d’amour et de haine comme mouvements spontanés de l’affectivité./ Le retournement en soi, il l’a vécu sous un seul aspect : l’accueil de la vie du Père, l’acceptation de la rencontre des hommes, auxquels il est semblable en tout excepté le péché. Jusqu’à assumer la haine de l’autre, des autres en lui-même, par amour. Il a aimé jusqu’au bout. Jusqu’à la nouvelle sortie de soi, la résurrection, don du Père à Jésus, en laquelle il est fait Christ et Seigneur, et nous recevons l’Esprit.

C’est l’objet de la contemplation de Paul dans la Lettre aux Ephésiens (2. 11-22). Jésus Christ est notre paix par son sang. Il a réconcilié les proches et les lointains, les juifs et les païens, les héritiers et les étrangers au moyen de la croix, c'est-à-dire dans son passage, dans sa Pâque. En lui, il a détruit la haine. Peut être parce qu’à la racine de la haine, il y a la jalousie et que la jalousie a une dimension métaphysique et spirituelle. C’est pourquoi seul le Fils de l’homme, qui est aussi le Fils du Père pouvait détruire la haine, la violence, qui est bien autre chose que l’agressivité.

Il n’annonce pas seulement la paix. Il est lui-même la paix et il fait l’unité de tout ce qui est divisé, de tous ceux qui sont divisés, s’ils acceptent son témoignage. Et l’ accepter c’est entrer dans la construction d’une humanité nouvelle, c’est épouser le même mouvement de la sortie nouvelle de soi qui transfigure toute agressivité, qui abolit toute violence. C’est être artisan d’unité.

Chercher la paix c’est accueillir le passage en nous-mêmes de la vie du Christ, c’est faire confiance à l’Esprit du Christ qui agit dans le cœur des hommes pour qu’ils préfèrent la paix à la violence et construisent ensemble par amour.